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s’écrie avec une douce émotion : « Oh ! c’est bien là la terre que je suis venu chercher ; les louanges de Bouddha s’élèvent ici de tous côtés du fond des vallées ! »

Ce récit légendaire, empreint à la fois d’un mysticisme mélancolique et d’une naïveté gracieuse, ne serait qu’un conte de plus à ajouter à tous ceux que l’île de Ceylan a inspirés au génie oriental, si la vérité ne s’y faisait jour par un coin sous le voile de la fable. Depuis plus de vingt siècles, le bouddhisme règne à Ceylan. Lorsque cette croyance hétérodoxe, vaincue à son tour par l’influence renaissante du brahmanisme, disparut de l’Hindoustan, elle se retrancha dans la petite île de Ceylan comme dans une forteresse. Aujourd’hui encore les religieux y chantent les louanges de Bouddha à l’ombre des pins, sur les montagnes et sous les gigantesques cocotiers au bord de la mer. Sans doute ils n’ont plus ce zèle édifiant qui ravissait de joie le pèlerin chinois : le temps a modéré les antiques ardeurs ; cependant ils conservent les traditions d’un passé plein de ténèbres et de mystères ; ils sont les sectateurs fidèles et aveugles d’une doctrine qui compte encore aujourd’hui dans l’Asie orientale près de cent millions d’adeptes. À ce double titre, les religieux de Ceylan méritent peut-être que l’on jette sur eux un regard d’intérêt.

Une excellente occasion nous est offerte de pénétrer jusqu’au fond de leurs paisibles monastères, et d’assister aux exercices qui se partagent leur existence. Un érudit anglais, M. Spence Hardy, a résumé dans deux ouvrages substantiels tout ce qu’il a recueilli, pendant un séjour de vingt années dans l’île de Ceylan, sur la condition présente des moines singhalais[1]. Ce que l’expérience ne. suffisait pas à lui apprendre, il l’a dérobé lui-même aux livres du pays, grâce à une connaissance approfondie de la langue. Tout en prenant pour guide les précieux documens amassés par M. Spence Hardy, nous tenons à déclarer que nous n’acceptons à aucun prix les conclusions qu’il cherche à tirer de la comparaison du monachisme de l’Orient avec celui de l’Occident. Ne peut-on déplorer l’ignorance, la stupidité, l’inutilité d’un pauvre religieux hindou et païen, sans entendre retentir à son oreille « les foudres de Wycliffe tonnant contre les ordres mendians de l’Europe ? » Nous sommes à Ceylan, restons-y.


I.

Les Arabes, qui commerçaient par mer avec la Chine dès le VIIIe siècle de notre ère, s’établirent de bonne heure dans l’île de Ceylan. En 1505, ils y avaient si bien pris pied, que le roi de Kandy

  1. On appelle ainsi les habitans de Ceylan, du nom ancien de leur île, Singhala. Quelques écrivains anglais ont risqué le mot Ceylonese, Ceylanais.