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poète salue en finissant dans des vers qu’il faudrait pouvoir lire dans l’original pour saisir l’incomparable mélodie dont s’enveloppe une pensée pleine d’élévation :

Lengo del ciel, lengo aymado
Toun trioumphe es benezit !
Saoubo la terro empenado ;
Adretis l’amo et l’esprit;
Grandis las caousos noubelos
Sans brigailla co qu’es biel ;
Debino.dins las Estelos
Lous milo secrets del ciel !


Ceux qui trouvent que ce n’est là que du français traduit n’ont point remarqué tous ces mots qui abondent dans la poésie de Jasmin, brounzina, bourdonner. — tindinayres, sonores, et ce mot de bouluguero, — êtincellière, foyer d’étincelles, — appliqué aux champs où fourmillent les travailleurs pendant l’été. Mais quoi encore ! et les statuts académiques, dira-t-on, et le scandale de couronner du patois, et la loi progressive et humanitaire! Qu’aurez-vous à répondre à ceux qui vous opposeront la civilisation, le progrès, l’imité française ? Rien sans doute, si ce n’est qu’il est des esprits toujours prêts à tomber dans ce piège singulier de remuer les plus grosses questions à propos des choses les plus délicates et les plus légères, et de vouloir enfermer un rayon de soleil dans leur alambic. Pourquoi irions-nous imiter ces braves patriotes qui revenant de Bretagne, peu après 1830, s’indignaient de n’y avoir trouvé qu’un inintelligible patois, et adressaient des pétitions au gouvernement pour le supplier très humblement « de répandre dans ces malheureuses contrées la langue de Voltaire et de Rousseau ?» Oui, que le génie français accomplisse son destin! qu’il redresse l’âme et l’esprit, comme le dit le poète ! qu’il réunisse les peuples ! Mais tâchons de ne point faire de l’unité un amalgame, du mouvement des peuples une confusion, de la communauté de leur vie et de leurs intérêts une promiscuité où disparaissent toutes les physionomies, toutes les originalités locales. Assez d’atteintes sont portées à la loi qui fait de la variété une des conditions des choses humaines. Si les chemins de fer traversent nos campagnes, — de même qu’ils sont bien forcés de respecter le ciel et le caractère indélébile de la nature, pourquoi ne laisseraient-ils pas vivre les populations avec leurs mœurs, leurs usages, leurs traditions, leur langue même, qui a bien aussi sa poésie parfois ? « Otez-lui sa misère et laissez-lui sa langue ! » disait Jasmin, il y a dix ans, en parlant du peuple. Tout ce qu’on pourrait ajouter aujourd’hui n’égalerait pas ce vers simple et d’une si morale élévation adressé au