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et de belles manières pour plaire aux patriciennes ou aux pécheresses du drame moderne, assez de tact et de goût pour ne pas choquer les hommes de bonne compagnie, et remplaçant la dignité et la noblesse par une certaine grâce d’accent, de sourire et de geste, voilà tout ce que l’on peut exiger, et voilà ce qui a suffi pour faire réussir le nouveau Clitandre.

Nous nous trompons : ce n’était pas là le seul moyen de réussite qu’il apportait sur notre première scène. Il trouvait au seuil M. Scribe, prêt à lui en faire les honneurs, à faciliter le rapprochement, à contresigner l’alliance de cette même plume ingénieuse et aimable qui a écrit pour le Gymnase tant de jolies comédies, et aussi, il faut bien le dire, pour la Comédie-Française tant de spirituels vaudevilles. Ce que l’acteur allait faire sur le théâtre, l’auteur l’avait déjà fait depuis longtemps, — et on sait avec quel bonheur ! — dans la littérature dramatique, Il avait nivelé les rangs, rapproché les distances, et inauguré sur les ruines des anciennes catégories un genre qu’il est plus aisé de goûter que de définir, qui n’est précisément ni le poétique ni le comique, mais qui a le premier de tous les mérites, celui de réussir, et qui semble avoir pris pour devise le ni si haut, ni si bas ! de Lamartine. Il y a eu de nos jours, bien des esprits supérieurs à M. Scribe ; il n’y en a pas eu qui aient mieux compris leur temps, et c’est là ce qui explique également que nul n’ait subi plus d’attaques individuelles ni remporté plus de triomphes collectifs et populaires. Comme il ne satisfait pas les imaginations préoccupées du culte de l’idéal, comme il répond mal à ce sentiment délicat, raffiné, excessif, fantasque, amoureux d’arabesques et de ciselures, qui caractérise l’art actuel, comme il y a dans ses inventions les plus habiles un fond de vulgarité adroitement déguisé sous un air de hardiesse et de paradoxe, il n’a pas manque de juges éminens et de fins connaisseurs pour le contester ; mais les masses lui ont donné raison, parce qu’il s’approprie admirablement aux instincts de la société nouvelle, — de cette société morcelée, fractionnée, blasée, mobile, qui a gagné en surface ce qu’elle a perdu en profondeur, où les débris de tout ce qui s’en va se mêlent aux échantillons de tout ce qui arrive, et qui, à bout de discussions, de luttes, de rêveries, d’illusions et de catastrophes, tient quitte de tout le reste quiconque parvient à la distraire sans brusquer trop violemment ses idées et ses habitudes. Tel a été le rôle de M. Scribe auprès de son époque ; il s’est fait, sinon son corrupteur, son complaisant ou son complice, au moins son compagnon de route ; il l’a suivie dans les variations successives que lui imprimaient les événemens, et s’est retrouvé toujours l’homme du moment, suivant qu’il avait à interpréter ou une opposition discrète, ou un libéralisme épigrammatique, ou un retour sentimental vers nos gloires tombées, ou cette phase de lassitude et de scepticisme qu’amènent chez les individus les mécomptes de la vie, et chez les peuples les déceptions de la politique. Il ne faudrait cependant pas que M. Scribe se fiât trop à la popularité de son nom, et nous donnât trop souvent des pièces comme Mon Étoile, qui ne rachète pas par le mérite de l’exécution le défaut absolu de nouveauté, et dont l’allure vieillotte, le dialogue grimaçant, les bons mots éventés et l’intrigue amincie au laminoir faisaient un assez pauvre effet auprès des robustes beautés des Femmes savantes. Heureusement le Verre d’eau nous a rendu, suffisamment