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il reste dans la Famille Aubry quelques scènes d’une grâce passionnée et émouvante, quelques mouvemens d’une certaine force poétique. Littérairement, que manque-t-il à ce roman ? il lui manque, comme à tant d’autres compositions, de ne point renfermer en cent pages ce qui est en trois volumes. Ainsi resserrée et contenue dans ses proportions naturelles et justes, l’histoire de Natalis Aubry aurait eu sans doute plus de relief et d’originalité. Cet art de se contenir, d’écrire des livres courts qui ne disent que ce qu’il faut dire, cet art élevé, en qui se résume toute la science littéraire, semble par malheur ne plus préoccuper les esprits dans un temps de hâte et de précipitation où toutes les perspectives naturelles s’intervertissent, où toutes les notions se troublent. Au milieu de toutes les tentations qui les environnent, c’est en eux-mêmes que les écrivains ont à retrouver ce secret des compositions vraies qui intéressent, qui émeuvent sans sortir des justes proportions. Oublie-t-on que, dans un petit volume de cent pages, il y a souvent plus de génie, plus de puissance d’analyse et d’observation que dans les vingt volumes de ces romans qui naissent un matin et dont on ne parle plus le soir, si tant est qu’on s’en soit occupé ?

Pense-t-on, d’un autre côté, que le rajeunissement de l’intelligence littéraire par l’étude de toutes les conditions sérieuses et sévères de l’art n’eût point aussi sa signification dans la situation politique de notre pays ? La France lui devrait encore cette influence morale qu’elle a souvent exercée, et qui s’étend sans effort dans la paix comme dans la guerre. Quoi qu’il en soit de ces perspectives que l’esprit peut s’ouvrir, nous voici revenus au temps où ne s’exercent plus seulement les simples et pacifiques influences intellectuelles. C’est au sort des armes aujourd’hui qu’est remise la solution des plus grandes questions. Faut-il s’étonner que tous les pays de l’Europe, bien que dans une mesure différente, se ressentent de cette situation générale ? Mais ce qu’il faut observer en même temps, c’est que s’il est des complications qui atteignent à de redoutables proportions, il est d’autres difficultés qui avaient bien leur gravité dans le principe et qui s’aplanissent heureusement. S’il est des peuples et des gouvernemens entre lesquels les relations s’aggravent, il est aussi des rapports qui se resserrent et prennent un caractère nouveau de conciliante et mutuelle bienveillance. On ne saurait parler aujourd’hui des nuages, des méfiances, qui ont pu s’élever il y a deux ans entre la France et la Belgique, que pour montrer l’accord actuel des deux pays, accord déjà manifesté par plus d’un fit politique, tel que le voyage du prince Napoléon à Bruxelles, et qui vient d’aboutir au règlement définitif des difficultés commerciales nées de l’expiration du traité de 1845. La situation des deux pays se trouve désormais placée sous l’empire de diverses transactions qui règlent tous les intérêts. Ce sont en première ligne les deux conventions qui avaient été signées le 22 août 1852 et qui sont aujourd’hui mises en vigueur ; c’est en outre le traité de commerce qui vient d’être conclu et signé le 21 février 1854. Parmi les conventions qui remontent à 1852, l’une, comme on sait, stipulait en faveur de la Belgique quelques dégrèvemens de tarifs sur les cotonnettes, le houblon, le bétail ; l’autre, qui était incontestablement la plus importante, avait pour but la garantie réciproque de la propriété littéraire et artistique dans les deux pays. Il serait inutile,