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d’une souscription nationale. Chacun y peut atteindre, puisqu’on peut souscrire pour 10 francs de rente, et même ce sont les souscripteurs de cet ordre qui se trouvent particulièrement favorisés en ce qu’ils ne sont pas soumis à une réduction proportionnelle dans le cas où le chiffre de l’emprunt serait dépassé par les souscriptions. Le mécanisme de cet emprunt est en lui-même des plus simples ; il consiste à aliéner pour 250 millions de rentes sur l’état au taux de 92 fr. 50 c. en 4 1/2 pour 100 et au taux de 63 fr. 25 c. en 3 pour 100. Pour le premier de ces fonds, la jouissance part du 22 mars 1854 ; pour le second, elle remonte au 22 décembre 1853. Le versement d’un dixième est obligatoire au moment même de la souscription. Le reste devra être versé par quinzièmes de mois en mois, il est facile de saisir les avantages qu’offre au public ce mode d’emprunt : un placement sûr, des versemens faciles, toutes les garanties qui s’attachent à la fortune même de l’état. Dans les circonstances présentes, l’emprunt tel qu’il vient, d’être fixé a incontestablement une pensée politique ; il a pour but d’associer d’une manière plus directe tout le pays aux efforts de la lutte qui s’ouvre ; il intéresse le sentiment national dans une opération financière. En dehors de ces considérations tout actuelles qui se rattachent à l’emprunt de 250 millions, on pourrait y voir un progrès nouveau des tendances qui se sont manifestées depuis quelque temps, et qui ont eu pour résultat de divulguer, de populariser la rente. Autrefois les départemens absorbaient une faible partie de la dette publique, aujourd’hui leur part est de plus de moitié. Avant 1848, il y avait 207,000 rentiers inscrits seulement ; en ce moment ce chiffre s’élève à 664,000. on ne compte pas moins de 94,000 porteurs d’inscriptions dont la rente ne dépasse pas 20 fr. Cela ne prouve-il pas qu’il y a dans la fortune mobilière comme dans la fortune immobilière une tendance permanente à se diviser, à s’étendre, à admettre un plus grand nombre d’hommes à ses bénéfices et à ses chances ? Ou en pourrait tirer plus d’une conclusion qui ramènerait aux plus sérieux problèmes. Dans tous les cas, n’est-ce point un signe évident du travail qui s’opère, des impulsions qui règnent et se propagent dans notre pays ?

Ainsi vont les événemens, ainsi marche cette société française, toujours prête à céder au goût et aux séductions du repos et sans cesse rappelée à la lutte par quelque côté, embrassant dans sa vie complexe les faits, les préoccupations, les intérêts les plus divers, et à travers tout se renouvelant par un travaillent et graduel qui atteint les hommes et les choses. Les choses changent, les situations se transforment, les hommes eux-mêmes s’en vont et disparaissent comme pour mieux marquer la fuite du temps. Chacun quitte la scène du monde, à son jour et à son heure. C’est ainsi qu’au milieu des bruits des crises actuelles s’éteignaient récemment dans une demi-obscurité deux hommes qui n’eurent jamais rien de commun que de mourir au même instant, et qui ont eu chacun son rôle et sa destinée dans ce siècle, — l’amiral Roussin et l’abbé de Lamennais. L’un était un éminent soldat, servant son pays depuis plus de cinquante ans, le dernier survivant peut-être de cette génération militaire qui avait commencé avec la révolution et l’empire ; l’autre était un penseur violent et emporté, qui semblait avoir recueilli quelques-uns des orages de cet océan aux bords duquel il était né. Comme tous