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tâcher de reconduire les choses à cet état vague et indécis où elles flottaient avant l’explosion des exigences russes ; il fallait effacer les prétentions et en même temps les résistances qui venaient de s’accuser si vivement, et qui ne pouvaient demeurer en lumière sans se heurter avec violence et entraîner dans leur choc les intérêts de l’Europe ; il fallait ramener sur le mystère des conditions d’existence de l’empire turc le voile que le prince Menchikof avait brutalement déchiré. La note de Vienne était cet effacement des prétentions rivales, ce voile de nouveau étendu, à l’ombre duquel les choses auraient pu reprendre leur cours sans que la paix du monde fût troublée, ce rétablissement du statu quo, puisque c’est le nom que l’on donne à la trêve rompue aujourd’hui par la Russie, mais que l’Europe a toujours voulu prolonger pour repousser aussi loin que possible dans l’avenir ces problèmes de races, de géographie politique et d’équilibre que recèle la question d’Orient. Ce que l’on peut contester à une pareille politique, c’est peut-être la prévoyance et le courage ; mais on ne saurait assurément lui reprocher de n’avoir point été inspirée par un vif et sincère amour de la paix.

Ajourner la question d’Orient pour conserver la paix, voilà pour le fond des choses l’esprit qui a présidé à la rédaction de la note de Vienne. Mais en travaillant à cet expédient, quelles étaient les dispositions particulières des puissances vis-à-vis de la Russie ? On ne peut évidemment douter de celles de la Prusse et de l’Autriche. Les dispositions de la France et de l’Angleterre n’étaient pas moins conciliantes. Certes ces deux puissances ne se dissimulaient point, que la Russie n’avait aucun titre à exiger de la Turquie une note quelconque. Tous les griefs allégués par la Russie se rapportaient à la question des lieux-saints, et cette question avait été réglée à sa satisfaction. Elle n’avait donc plus rien à réclamer. Cependant l’empereur de Russie avait engagé son amour-propre à obtenir ce qu’il appelait une réparation. La France et l’Angleterre, si elles eussent été animées de l’esprit de défiance et d’hostilité que l’empereur Nicolas leur reproche aujourd’hui, auraient pu s’opposer à une demande qu’il lui était impossible de justifier par aucun fait précis. Au lieu de cela, que firent-elles en coopérant à la note de Vienne ? Elles témoignèrent d’une rare sollicitude et d’une singulière complaisance pour la dignité extérieure de l’empereur Nicolas ; elles lui tendirent elles-mêmes la main pour l’aider à sortir honorablement de la fausse position où il avait fourvoyé sa politique.

L’amour-propre aussi bien que l’ambition de l’empereur de Russie étaient saufs en effet, s’il ne se fût hâté de donner à la note de Vienne une interprétation incompatible avec les intérêts et l’honneur des puissances occidentales. La crise se serait terminée au