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d’influence, le protectorat enfin dont la Russie désavouait la pensée. Ni la conférence n’avait voulu un pareil résultat, ni le raisonnement le plus subtil ne pouvait le faire sortir du traite de Kainardji. Par le septième article de ce traité, la Porte promet de protéger la religion chrétienne dans l’empire ottoman ; mais par le même article les ministres de Russie sont autorisés à faire des représentations en faveur d’une église nouvellement bâtie et de ses desservans : cette dernière clause eût été complètement inutile, si la diplomatie russe eût reçu du traité le droit de faire des représentations à propos de toutes les affaires religieuses. Si cet article avait le sens que M. de Nesselrode cherchait maintenant à y attacher, et si les deux parties contractantes avaient été d’accord sur ce point, la raison indique qu’une stipulation aussi importante que celle du maintien des privilèges et immunités de l’église grecque n’eût point été omise à la signature du traité.

Quant à la troisième objection de M. de Nesselrode, elle était encore plus en désaccord que les deux autres avec l’intention de la conférence. Non, la conférence n’avait pas pu vouloir que la Porte prit vis-à-vis de la Russie l’engagement d’accorder à l’église grecque tout avantage qu’elle pourrait accorder aux autres dénominations chrétiennes ; elle n’avait pu parler que des avantages accordés aux autres communautés qui seraient, comme les Grecs, sujettes ottomanes. Le chef spirituel des catholiques, en Turquie comme ailleurs, est un souverain étranger, le pape. Supposez qu’il plût au sultan de faire avec le pape un concordat qui conférerait des privilèges aux catholiques romains non sujets de la Porte ; à coup sûr, l’empereur de Russie ne saurait prétendre au droit de réclamer tous les bénéfices de ce concordat pour les Grecs sujets de la Porte, dont le chef spirituel, le patriarche de Constantinople, est également sujet du sultan. Aucune communauté chrétienne composée de sujets du sultan n’aurait évidemment le droit de participer aux avantages et privilèges que le sultan pourrait conférer à des couvens, à des ecclésiastiques, à des laïques russes. Il en était de même pour les Grecs sujets du sultan par rapport aux autres étrangers. Ce que voulait pourtant M. de Nesselrode, c’était que, si le sultan avait autrefois conféré ou voulait octroyer à l’avenir quelque privilège religieux à une communauté non sujette de la Porte, la Russie eût le droit d’exiger que plusieurs millions de Grecs sujets ottomans fussent à l’instant placés sur le pied des étrangers et admis à jouir, par l’intervention de la Russie, de tous les avantages que le sultan, pour des motifs dont il est le seul juge compétent, aurait accordés à ces étrangers. Une pareille prétention paraissait être au gouvernement anglais un manque absolu d’égards pour les sentimens et les intérêts des puissances européennes qui avaient déclaré, en commun avec la