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des immunités religieuses du culte. C’est dans ce but qu’on a supprimé ces deux mots, « la lettre et l’esprit. » On appuie sans nécessité sur le fait que la protection du culte chrétien s’exerce « par la Sublime-Porte, » comme si nous prétendions exercer cette protection nous-mêmes dans les états du sultan ; et comme on néglige en même temps de rappeler qu’aux termes du traité la protection est une promesse faite, un engagement pris par le sultan, on a l’air de jeter un doute sur le droit que nous avons de veiller à la stricte exécution de cette promesse.

« 3° Le changement que l’on propose dans cet endroit de la note autrichienne est surtout inadmissible.

« Le gouvernement ottoman ne s’engagerait à faire participer l’église orthodoxe qu’aux avantages qu’il octroierait à d’autres communautés chrétiennes sujettes de la Porte ; mais si ces communautés, bien que catholiques ou autres n’étaient pas formées d’indigènes rayas, mais de religieux ou laïques étrangers (et tel est le cas de la presque totalité des couvens, hospices, séminaires et évêchés du rit latin en Turquie), et si, disons-nous, le bon plaisir de la Porte était d’accorder à ces établissemens des avantages et privilèges religieux nouveaux, les communautés orthodoxes, en leur qualité de sujettes ottomanes n’auraient pas, d’après les termes que l’on veut introduire dans la note, le droit de réclamer les mêmes faveurs, ni la Russie le droit d’intercéder pour elles.

« L’intention malveillante des ministres de la Porte deviendra plus évidente encore, si nous citons un exemple, une éventualité possible. Supposons le cas très-probable où le patriarche latin de Jérusalem, préconisé en dernier lieu, obtint de la Porte des prérogatives dont le patriarche grec ne jouit pas. Toute réclamation de la part de ce dernier serait rejetée, vu sa qualité de sujet de la Porte.

« La même objection serait faite par le ministère ottoman par rapport aux établissemens catholiques de la Palestine, dans le cas où quelque nouvel avantage ou droit non spécifié dans les derniers firmans vint à leur être accordé par la suite au préjudice des communautés indigènes. »

Il résultait clairement de l’argumentation de M. de Nesselrode que la Russie prétendait s’ingérer dans les rapports du sultan avec ses sujets chrétiens, et veiller elle-même à l’avenir au maintien des droits et immunités de l’église grecque dans l’empire ottoman. En émettant ce jugement, M. Drouyn de Lhuys était pleinement autorisé à dire que « la Russie venait aujourd’hui attribuer au texte primitif des passages modifiés par le divan un sens qui n’était certainement pas celui que la conférence entendait lui donner, et qui justifierait les appréhensions des conseillers du sultan ; qu’en effet, entre l’interprétation que M. le comte de Nesselrode faisait de la note de Vienne et les exigences de la note de M. le prince Menchikof, reconnues exorbitantes par tout le monde, la différence serait insaisissable[1]. »

  1. M. Drouyn de Lhuys à M. de Bourqueney, 17 sept. 1853.Documens français, n° 21.