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protestation et la lettre de Rechid-Pacha, datées du 20 juillet, étaient accompagnées d’un projet de note, daté du 23 juillet, qui paraissait au gouvernement turc et aux quatre ambassadeurs de nature à répondre au désir de la Russie par rapport à la question des privilèges religieux. Ainsi, à un fait de guerre contre lequel elle ne pouvait s’abstenir de protester, la Porte répondait par une nouvelle ouverture de paix. Les ambassadeurs des quatre puissances se chargèrent d’envoyer ces documens, sous cachet volant, à leurs collègues de Vienne, avec des lettres identiques adressées aux ambassadeurs en Russie. À Vienne, on devait prier le cabinet autrichien de transmettre ces pièces au gouvernement russe, et l’on comptait les faire appuyer auprès de celui-ci par les ambassadeurs à Saint-Pétersbourg. Telle était la combinaison préparée à Constantinople avant que la conférence de Vienne se fût réunie[1]. Elle arriva à Vienne pendant les délibérations de la conférence.

Les gouvernemens de France et d’Angleterre avaient tant à cœur le succès de la note de Vienne, qu’ils furent visiblement contrariés de ce qui s’était fait à Constantinople. Cette protestation de Rechid-Pacha leur parut un accident malencontreux en un pareil moment. « Les nouvelles de Constantinople, écrivait à ce sujet lord Cowley, n’ont pas fait une impression favorable sur l’empereur et sur M. Drouyn de Lhuys[2]. » M. Drouyn de Lhuys le 29 juillet, lord Clarendon le 30, écrivirent par le télégraphe à M. de Bourqueney et à lord Westmorland de suspendre l’envoi des dépêches de Constantinople à Saint-Pétersbourg. Avant que les ordres fussent arrivés à Vienne, le comte de Buol avait déjà déclaré à la conférence qu’il ne se chargeait pas de transmettre les notes de Rechid-Pacha à Saint-Pétersbourg, une protestation ne lui paraissant pas de nature à avancer les affaires de la paix du côté de la Russie[3] ; quant à la nouvelle note de Rechid-Pacha relative aux privilèges religieux des Grecs, en la communiquant aux ambassadeurs à Constantinople, le ministre turc avait dit : « Je déclare officiellement que la Porte est décidée à ne point aller au-delà des termes d’une note strictement conformes à ce projet, tout autre arrangement lui paraissant une atteinte aux droits sacrés de sa souveraineté et de son indépendance[4]. » Cette

  1. Lord Stratford to the earl of Clatendon, july 20, 23. Corr., part II, no 18, 38, 39.
  2. Lord Cowley to the earl of Clarendon, july 29. Corresp., part II, no 25.
  3. The earl of Westmorland to the earl of Clarendon, july 29. Corr., part II, no 40.
  4. Nous croyons devoir reproduire ici ce projet de note de Rechid-Pacha pour mettre le lecteur à même de saisir la portée de la déclaration du ministre turc et de l’assurance de M. de Buol que l’on va lire.
    « Balta Lima, le 23/11 juillet 1853.
    « Connaissant le profond intérêt que sa majesté l’empereur de Russie ainsi que la grande majorité de son peuple prennent à tout ce qui concerne la religion qu’ils professent, et appréciant entièrement les motifs de cet intérêt, j’ai en beaucoup de plaisir en faisant connaîtra à votre excellence les firmans que mon auguste souverain a promulgués vers la fin de chaban de l’année courante. Et pour faire écarter tout le doute, je viens vous assurer de la part de la Sublime-Porte, que se réservant les droits sacrés de souveraineté envois ses propres sujets, il est de l’intention sincère de sa majesté impériale d’assurer à l’église grecque à perpétuité la jouissance des privilèges spirituels qui y sont confirmés, et de lui accorder aussi tels autres privilèges et immunités qu’il plairait à sa majesté d’accorder désormais à tout autre culte quelconque de ses sujets chrétiens.
    « Enfin je n’ai pas le moindre doute que les assurances basées sur les firmans précités, qui ont inspiré de la confiance partout, ne donnent aussi de la satisfaction à la Russie. »