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recommande aux prières de tous, — lorsqu’un matin un vieil oncle qui a surpris son secret lui dit un mot à l’oreille : aussitôt Marthe est sauvée, le feu rentre dans son œil terni, « son sang court rafraîchi sous sa blanche peau. » Elle veut travailler. Marthe se fait marchande, et comme elle est attrayante et bonne, chacun veut acheter chez elle. Elle a un autre amour désormais, l’amour de l’argent, du gain. Pourquoi donc Marthe a-t-elle cet amour de l’argent ? C’est qu’avec ce qu’elle gagnera et ce que lui a promis son vieil oncle, elle espère arriver à racheter Jacques. Déjà elle est tout près du but quand un autre malheur survient : l’oncle meurt, et Marthe est de nouveau livrée à elle-même ; mais alors elle vend tout, sa maison, sa boutique, ses meubles, pour arriver à réaliser la somme nécessaire, et quand elle a tout vendu, elle s’en va : « Tenez, dit le poète, regardez-la ! Joyeuse et couverte de deuil, elle semble, en quittant sa petite maison, l’ange de la douleur qui reprend sa volée vers le bonheur qui vient de lui sourire un peu. » Marthe, en effet, avec le produit de tout ce qu’elle a vendu, va chez le curé du village pour le prier de rechercher Jacques et de lui envoyer l’argent qui doit le ramener vers celle qui l’aime. Une fois son œuvre de dévouement accomplie, la jeune fille se sent plus à l’aise : Elle n’a plus un riche trousseau, de tout ce qu’elle avait il ne lui reste plus rien, — rien « qu’un escabeau, un dé, un étui, un rouet. » Il faut qu’elle travaille obstinément pour vivre. Elle est heureuse pourtant, et « sa pensée tresse autant de jours sans nuages que sa bobine prend de tirées de laine, que son aiguille fait de points. » Elle n’a plus qu’à attendre Jacques. Déjà le jour est fixé, c’est un dimanche que Jacques doit arriver. Il revient en effet, mais il n’a point deviné l’origine de cet argent qui a servi à le rendre libre, et en outre il est accompagné d’une autre femme. « Quelle est donc cette femme ? dit le curé d’une voix forte. — La mienne… Je suis marié, » répond Jacques honteux, baissant la tête comme un criminel et n’osant regarder Marthe. — Quant à la pauvre Marthe, elle ne soupire pas, elle ne se plaint pas, seulement Elle pousse un cri, puis tout à coup elle fixe sur Jacques un regard étrange et doux, et elle rit comme une folle. « Hélas ! ajoute le poète, Elle ne pouvait plus rire autrement » Voilà la tragédie de l’amour dans un cœur simple.

Marthe peut donner une idée de ce genre d’invention créé par le poète méridional. Ce ne sont point de vastes conceptions taillées dans des blocs gigantesques, et Jasmin lui-même n’en a pas la prétention. Comment définit-il ses poèmes ? « Une statuette, dit-il. Au premier plan, deux yeux, une bouche, deux bras, deux mains : rien de plus, rien de moins. Au second plan, un cœur palpitant et les quatre artères que l’on voit battre, donnant à l’œuvre à mouvement et la vie ; puis