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L’enfant de chœur s’éloigna et revint bientôt apportant un petit cierge. — C’est six sous, dit-il en l’allumant et en le piquant sur l’if. Au moment où il lui donnait l’argent, Antoine entendit des pas sur la dalle : c’était M. Bridoux et sa fille qui traversaient la nef. Hélène s’arrêta un instant, et Antoine, qui se sentit observé dans cet acte de foi fait pour le compte d’un autre, en éprouva une légère confusion. À la porte de l’église, il se rencontra avec Hélène et son père ; celui-ci trempa son doigt dans le bénitier et fit le signe de la croix ; sa fille, qui s’apprêtait à l’imiter, se retourna vers Antoine, qui était auprès d’elle, et lui tendit deux doigts ; Antoine, qui ne s’attendait pas à cela, avança une main.

— Pas celle-là, dit doucement Hélène.

Antoine avait tendu la main gauche. Il fit le signe de la croix : il lui sembla que Mlle Bridoux observait comment il s’y prenait.

En arrivant sous le porche de l’église avec ses deux compagnons, Antoine aperçut l’enfant de chœur qui parlait à une petite fille de cinq ou six ans ; il lui désignait les trois voyageurs. Comme ceux-ci redescendaient l’escalier qui donne sur la place de l’église, la petite fille courut après eux ; avec un accent normand très prononcé, elle vint leur demander s’ils ne voulaient pas voir le cimetière. — Je pourrai vous conduire au tombeau de Rose Lacroix ; ah ! c’est que c’est le plus beau de tout le cimetière, et de tout le pays aussi ! dit avec orgueil la petite Normande.

— Allons ! dit Antoine à la petite fille.

— Allons ! répéta Hélène en prenant le bras de son père.

La petite fille guida les voyageurs dans ce cimetière, qui avait la coquetterie d’un jardin soigneusement entretenu. On s’arrêta auprès d’une tombe ayant beaucoup plus d’apparence que les autres ; elle était construite en marbre blanc. Sur l’une des faces, un bas-relief assez grossièrement exécuté représentait un bateau dont le mât était brisé, et dont la voile flottait déchirée, Dans la partie du bas-relief qui figurait la mer, une jeune fille se débattait contre la vague, et élevait en l’air une main qui tenait un bouquet. Au-dessous de cette sculpture commémorative, on lisait en lettres creusées : Le 8 septembre 184… La petite Normande donna aux voyageurs le temps d’admirer ce monument ; puis, à la première question qui lui fut adressée par Antoine, elle s’assit sur une pierre, mordit une grande bouchée dans la tartine qu’elle tenait à la main, et, déposant son pain à côté d’elle, elle commença, avec cette voix traînante des enfans qui récitent une leçon, l’histoire de Rose Lacroix. C’était un récit fort simple. Rose Lacroix avait été élevée avec un garçon du pays, ils s’étaient aimés tout enfans, et se l’étaient dit quand ils avaient cessé de l’être ; mais la pauvreté du garçon, qui s’appelait Guillaumin,