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qu’il retrouva à l’endroit où il les avait quittés. — Voici un manteau que votre père m’a chargé de vous remettre, mademoiselle, dit-il à Hélène.

— Comment, mon père n’est pas venu avec vous ! fit celle-ci avec étonnement.

— Je l’ai laissé au milieu d’une conversation très animée avec le capitaine ; au reste ils nous suivent.

— Allons toujours alors, dit Jacques en remettant la jeune fille au bras de son ami. Nous ne pouvons pas nous perdre, puisque le chemin est tout droit.

Hélène avait substitué à la vareuse que Jacques lui avait mise sur les épaules le vêtement que venait de lui apporter Antoine. Tout en causant, celui-ci se préoccupait d’amener à propos dans la conversation quelque parole qui pût rappeler à sa compagne, au cas où elle n’y songerait pas, qu’elle avait en sa possession un objet qui ne lui appartenait pas. Comme on passait devant un puits entouré d’une grille qui paraissait très curieusement ouvragée, Antoine dit à Jacques : — Voilà, je crois, une jolie chose ; si j’en ai le temps demain, avant de partir, je viendrai faire un tour par ici avec mon album.

— Je croyais que vous l’aviez perdu dans le chemin de fer, répondit Jacques.

— Vous savez bien que j’en ai acheté un autre à Rouen.

Hélène ne dit pas un seul mot. Seulement Jacques remarqua qu’elle avait fait un mouvement. Le silence qu’elle gardait devant cette réclamation indirecte embarrassa singulièrement Antoine. Son album ne contenait aucun dessin achevé. Ce n’étaient pour la plupart que des croquis, renseignemens pris en trois coups de crayon. Un grand nombre de feuillets convertis en mémento renfermaient des adresses, des dates, des calculs, toutes les notes de la vie familière. Quel intérêt pouvait donc avoir cette jeune fille à vouloir garder ces feuillets insignifians ? Il ne se l’expliquait pas, et avait grande envie de le demander à Hélène ; il se contint cependant et remit à un autre moment pour lui faire cette réclamation. La fraîcheur devenant plus sensible, Hélène pria les deux artistes de la ramener à son père, qu’elle voulait décider à rentrer.

Le capitaine ne put dissimuler sa satisfaction quand le retour des trois jeunes gens vint mettre un terme au bavardage de son obstiné passager. Hélène prit le bras de son père, et l’on regagna l’auberge, où chacun se disposa à se mettre au lit, car le capitaine avait demandé les pilotes pour quatre heures du matin. Antoine et Jacques se retirèrent dans une chambre roumaine. Comme ils n’avaient aucun désir de sommeil, ils se mirent à leur fenêtre et causèrent