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Bien qu’ils éprouvassent le même besoin de sommeil, les deux artistes ne purent résister au commun désir d’aller courir les rues. Tourmenté par cette fièvre d’impatience commune à tous les voyageurs novices, Antoine donna rapidement un à-compte à cette curiosité qui s’empare de l’esprit lorsqu’on arrive pour la première fois dans une ville où l’histoire et l’art d’un autre temps ont laissé de nombreuses traces. Après avoir parcouru principalement les quartiers qui ont le mieux conservé le caractère de leur date, les deux voyageurs prirent quelques heures de repos et retournèrent voir le lendemain, sous la lumière d’un grand soleil, la vieille ville, confusément devinée pendant leur promenade de la nuit. Lorsque Jacques eut terminé les affaires qui avaient motivé sa station à Rouen, au moment de partir pour Le Havre, il apprit que le service de la compagnie des bateaux avait été momentanément suspendu. Antoine, qui avait été séduit par la perspective du voyage par eau, éprouva quelque contrariété à prendre la voie de terre. Ce fut alors qu’il se rappela les remorqueurs du commerce que lui avait désignés son ami Lazare. Jacques avait connaissance de ces bateaux, dont les capitaines consentent quelquefois à prendre, moyennant une rétribution insignifiante, des passagers qui ont plus de temps que d’argent à dépenser, car ces paquebots, qui sont presque toujours lourdement chargés et qui remorquent quelquefois d’autres navires jusqu’à l’embouchure du fleuve, sont exposés à mettre un jour ou deux pour effectuer un voyage qui peut se faire en six ou huit heures. — Comme c’est le seul moyen qui nous reste pour aller au Havre par eau, et que je désire que vous voyiez les bords de la Seine, prenons les remorqueurs, dit Jacques. Je vous avertis seulement que nous n’y aurons pas nos aises et que nous risquons de rester un peu longtemps en route. Quant à moi, je n’ai pas annoncé mon retour à heure fixe.

— Je ne suis ni plus difficile ni plus pressé que vous, répondit Antoine.


II. — L’ATLAS.

Les deux artistes descendirent sur le quai, et voyant le remorqueur l’Atlas qui commençait à chauffer, ils demandèrent le capitaine, qui consentit à les recevoir à son bord et les prévint qu’ils eussent à embarquer des vivres. On partait dans une heure.

Au moment où Jacques et Antoine revenaient à bord, ce dernier laissa échapper un mouvement de surprise en apercevant sur le pont de l’Atlas les deux voyageurs avec lesquels il avait fait le trajet de Paris à Mantes.