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cessé de lui payer l’annuité convenue, soit qu’il eût aliéné dans un moment de gêne cette précieuse ressource, — mourut en 1838 à Londres, dans un état voisin de l’indigence.

Nous voudrions raconter, et dans tous ses détails, la pathétique histoire de « l’homme aux deux doigts, » où Grimaldi se montre sous le jour le plus favorable, mais tout au plus nous est-il permis de la résumer. Grimaldi habitait l’été une de ces petites maisons de campagne qui émaillent les environs immédiats de la capitale anglaise ; il s’y rendait chaque soir, à l’issue de la représentation, dans un cabriolet qu’il menait lui-même. Une nuit, trois voleurs l’arrêtèrent sur la route, et, le pistolet en main, l’obligèrent à leur donner l’argent qu’il portait sur lui. Le plus avide des trois lui avait même enlevé sa montre, — une montre à laquelle Grimaldi tenait particulièrement, — lorsqu’un autre voleur, pris d’un généreux scrupule, l’arracha des mains de son compagnon, et la rendit au voyageur stupéfait. La voix de cet homme avait frappé Grimaldi et réveillé en lui quelques souvenirs confus, qui prirent une bien autre consistance lorsqu’il eut jeté les yeux sur la main qui lui restituait sa montre. Cette main n’avait que deux doigts… Or, parmi les compagnons que Grimaldi rencontrait le plus régulièrement à la taverne où il passait une partie de ses soirées, était un jeune orfèvre dont la main mutilée offrait précisément la même apparence. D’ailleurs il était évident que les voleurs, quels qu’ils fussent, connaissaient parfaitement le clown, et l’avaient attendu tout exprès sur la route de sa villa. Quelques autres circonstances confirmèrent encore Grimaldi dans sa conviction que le jeune marchand en question avait participé à cette criminelle tentative. Aussi, la police s’étant mise sur la piste des voleurs et s’étant emparée, la nuit même, de trois individus particulièrement désignés à ses soupçons, Grimaldi, mandé à Bow-Street pour être confronté avec eux, se vit sans le moindre étonnement en face de l’orfèvre déjà mentionné. Cet homme, — il se nommait Hamilton, — affectant les airs les plus dégagés, semblait certain de ne pas être reconnu par son ami Grimaldi ; mais Joe déconcerta bientôt son audace. À un moment où on n’avait pas l’œil sur eux, Grimaldi leva les deux doigts de sa main gauche par un geste qui en disait long… Hamilton pâlit alors, et ses yeux abaissés vers la terre, le frisson qui le parcourut de la tête aux pieds, son attitude suppliante, le doigt qu’il posa machinalement sur ses lèvres, attestèrent qu’il se sentait à la merci de Grimaldi. Celui-ci toutefois, en proie à mille anxiétés, embrassait d’un coup d’œil les conséquences des paroles qu’il allait prononcer. Il songeait aux bons antécédens de ce jeune homme, il songeait surtout à sa femme, innocente et jolie créature, que désespéraient les désordres de son mari, poussé dans une