les plus déplorables renseignemens. Les six gentlemen appartiennent à cet état-major de l’armée du vol qu’un chef de la police de sûreté appelait : la haute pègre. Les six ladies sont autant de « Madeleines » non encore repentantes, associées à leurs exploits et à leur périlleuse fortune. L’honnête Grimaldi, d’abord épouvanté de s’être compromis avec de pareilles gens, devient furieux en songeant que sa femme s’est assise à la même table, à côté de ces héros et de ces princesses de carrefour. Pourtant, et malgré ce ressentiment légitime, son témoignage ne manquera point au misérable qui l’invoque. Il comparait comme témoin à décharge aux assises de Stafford, et, par ses affirmations courageuses, sur lesquelles épilogue en vain l’avocat de la couronne, il arrache au jury un verdict de non-culpabilité. Puis, lorsque l’accusé reconnaissant vient lui rendre grâces, l’honnête clown lui adresse, pour le ramener au bien, la plus sensée, la plus pathétique exhortation. En lisant cette anecdote[1], racontée par Dickens avec un art parfait, une connaissance approfondie de la procédure criminelle et un judicieux emploi de l’argot familier à la plus mauvaise compagnie de Londres, nous nous demandions si par hasard Oliver Twist, ce roman si vrai dans ses hideux détails, — n’était pas sorti tout vivant de ce chapitre des Mémoires de Grimaldi.
Encore une anecdote singulière. Les directeurs de Covent-Garden[2], en vertu d’une politique traditionnelle, avaient essayé de susciter un rival à Grimaldi. Le nouveau clown s’appelait Bradbury. On les mit tous deux aux prises dans la même pièce et dans le même rôle, qu’ils jouèrent tour à tour le même soir, alternant scène après scène. Cette épreuve tourna complètement en faveur de Grimaldi, dont Bradbury lui-même dut reconnaître l’incontestable supériorité. Quelque temps après cette victoire, qui avait tout naturellement relégué en province le bouffon sifflé, Grimaldi reçut de son rival une lettre par laquelle celui-ci le suppliait de le venir voir dans une maison de santé où il était retenu. Cet établissement bien connu étant à l’usage spécial des aliénés, Grimaldi ne douta point que Bradbury, à la suite de sa défaite, n’eût donné quelques signes de dérangement intellectuel ; il ne s’en crut que plus rigoureusement tenu de se rendre à sa requête. Les paroles avec lesquelles il aborda le pauvre prisonnier se ressentaient de cette prévention bien arrêtée, et il ne fut pas médiocrement surpris d’être interrompu par un grand
- ↑ Nous employons ce mot à dessein. L’aventure de Mackintosh, — son véritable nom était Mackoull, — est consignée dans un ouvrai que cet homme a écrit sur les Vices de la loi pénale.
- ↑ Grimaldi avait quitté Drury-Lane pour Covent-Garden vers la fin de l’année 1805, à la suite de quelques démêlés fort amplement racontés dans ses Mémoires.