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à bout de forces, qu’il allât se mettre au lit, et la mère de John resta sur pied toute la nuit, espérant, à chaque instant, qu’elle allait serrer contre son cœur ce fils si longtemps perdu…

Mais, — ceci seul justifie d’aussi longs détails, — ni cette nuit-là, ni le lendemain, ni depuis, à aucune époque, John Grimaldi n’a donné signe de vie. Si son frère n’avait eu, pour confirmer le témoignage de ses sens, celui de vingt témoins différens qui tous, comme lui, s’étaient convaincus du retour de John, l’avaient vu, interrogé, serré dans leurs bras, il eût pu se croire le jouet d’une hallucination complète ou d’une cruelle mystification. Après quelques jours de silence gardé sur cette étrange disparition, et lorsque la famille eut perdu l’espoir assez naturel que John avait pu aller rejoindre ses camarades de bord, afin de célébrer avec eux ses adieux à la vie de marin, des recherches de toute espèce furent commencées avec la plus grande activité. Les nobles protecteurs que Grimaldi s’était faits parmi les habitués des coulisses de Drury-Lane le mirent en rapport avec les bureaux de l’amirauté, qui employèrent tous les moyens en leur pouvoir pour éclaircir cette mystérieuse affaire. On vérifia dans les feuilles publiques l’arrivée de tous les navires qui, au jour indiqué, avaient jeté l’ancre dans les bassins de la Tamise et dans les différens ports des côtes voisines. On se rendit conque de la composition des équipages, du nom des passagers. Des agens de police bien payés fouillèrent la capitale de fond en comble, avec promesse d’une forte prime, s’ils parvenaient à découvrir, mort ou vif, le marin si étrangement disparu : — vaines recherches, soins inutiles ; — pas le moindre renseignement ne laissa deviner par quel hasard funeste ou par quel acte criminel l’infortuné John avait pu se trouver si soudainement rayé du livre de vie.

Quant aux conjectures auxquelles donnait lieu un incident si extraordinaire, les moins invraisemblables ne furent suggérées aux amis et à la famille du malheureux que bien des années après que toute espérance de le revoir leur eut été définitivement ravie : — la première, par l’un des grands personnages qui avaient, à cette douloureuse occasion, stimulé le zèle officiel de l’amirauté ; — la seconde, par un officier de police dont la vieille expérience avait été mise à contribution pour organiser l’enquête à laquelle on se livra dans le voisinage immédiat de Drury-Lane. Selon la première hypothèse, John Grimaldi, connu des agens employés à la presse des matelots, aurait été enlevé par eux dans une des rues où il s’était aventuré, puis transporté, sous un faux nom, à bord de quelque vaisseau de guerre près d’appareiller. Dans un de ces combats de mer si fréquens en 1803, il avait pu être tué, sans que son véritable nom fût inscrit sur les listes de morts transmises à l’amirauté. Ceci n’était