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tenta. Le sens pratique, la simplicité des mœurs, l’austérité des croyances, rien ne préserve donc les grands ambitieux de cette vanité. Cromwell aussi fut au moment de s’exposer à manquer la réalité du pouvoir pour une apparence, couvrant cette faiblesse d’esprit du prétexte politique, et s’efforçant d’y voir un sacrifice à l’Angleterre monarchique. Heureusement pour lui, si les légistes étaient pour un roi, les officiers étaient contre. Il se rangea du côté de son armée. C’est elle qu’après un temps de ménagemens et de réserve il employa, suivant son usage, à peser par la menace sur le parlement. Cette assemblée l’avait accueilli en triomphateur ; elle lui avait voté à la manière anglaise de riches récompenses, un domaine de cent mille fr. de revenu, et même assigné pour habitation la résidence royale de Hampton-Court. Puis, pour éviter le reproche de perpétuer son pouvoir, elle en avait fixé l’expiration au 5 novembre 1654. Le terme était trop éloigné, et de plus elle délibérait imprudemment sur la réduction de l’armée. Enfin, conduite par Henry Vane et ses amis, elle discutait un nouveau plan de représentation qui devait asseoir sur de plus larges bases l’élection du parlement futur. Aucune de ces mesures n’avait trouvé grâce devant Cromwell. Au mois d’août, il rompit ouvertement. Il réunit ses officiers, accusa devant eux le parlement de vues intéressées, d’esprit d’usurpation, et leur fit rédiger une de ces pétitions qui étaient des déclarations de guerre. En même temps, de bibliques exhortations irritèrent les militaires contre les civils, les fanatiques contre les politiques. Le parlement n’opposait que le nom de la république, l’intérêt de la liberté, l’appel prochain au suffrage national. Ce dernier point était décisif. Cromwell parait n’avoir craint que l’adoption de cette réforme électorale, qui pouvait rendre à l’opinion parlementaire une autorité et une popularité irrésistibles. Il semble que ce fut l’utilité de prévenir sur ce point une délibération suprême qui devint pour lui la nécessité d’agir, et le 19 avril 1653, après avoir pris ses mesures, peut-être en se réservant jusqu’à la fin la liberté de frapper ou de suspendre le dernier coup, il se décida comme subitement, se rendit à la salle des communes, et fit expulser devant lui, par le colonel anabaptiste Harrison, les cinquante-trois membres présens de l’assemblée, en leur adressant des paroles célèbres : grande scène historique qui semble avoir été composée par Shakspeare.

Le long parlement fut une assemblée remarquable, mais une assemblée révolutionnaire ; il eut donc ses jours de violence et n’en sortit pas innocent. Ceux qui le représentèrent dans ses derniers momens, et qui n’en étaient que les débris, avaient pour leur malheur cédé et participé aux iniquités du temps. C’étaient pourtant en général des républicains honnêtes, ayant pour chefs des hommes d’une distinction incontestable, — Vane, Sidney, Harrington, Blake, Scot,