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Ses autres cruautés ne sont pas à lui seul. En Irlande, il fut habile, rapide, heureux ; mais il fut impitoyable. Un égorgement suivit chaque victoire. Il en rend compte dans ses rapports officiels avec une grande tranquillité, comme de mesures nécessaires pour assurer la paix et pour prévenir une nouvelle effusion du sang. On est réduit à alléguer qu’au début de la révolution, en 1641, les catholiques en avaient inondé l’Irlande. Ce n’est ni une raison, ni une excuse. Il est rare dans les guerres civiles qu’un seul parti soit cruel, et les crimes révolutionnaires peuvent être des représailles sans en être moins odieux, car ces représailles ne punissent guère que des innocens. N’en déplaise à M. Carlyle, la sévérité naturelle du général en chef ne peut être déchargée d’une forte part dans les cruautés de la campagne d’Irlande, et sans nul doute elle était encore augmentée et comme endurcie par cette croyance fanatique, par ce prédestinatianisme rigoureux que rien n’oblige à ménager ni les élus ni les réprouvés, et qui n’a que faire ni de la vertu acquise de la charité ni de la vertu naturelle de l’humanité. C’est encore là un des traits de l’âme de Cromwell que doit peindre et condamner l’histoire, car il est l’homme qui, en rendant compte à l’orateur du parlement d’Angleterre de ses sanguinaires exploits, termine ainsi une de ses dépêches :


« Monsieur, que peut-on dire de ces choses ? Est-ce un bras de chair qui a fait ces choses ? est-ce la sagesse, et le conseil, et la force des hommes ? C’est le Seigneur, et lui seul. Dieu maudisse l’homme et sa maison qui ose penser autrement ! Monsieur, vous voyez que c’est un ouvrage que Dieu même a conduit. Dieu pénètre le cœur des hommes, et leur persuade de se soumettre à vous. Je vous le dis, une partie considérable de votre armée est plus faite pour l’hôpital que pour le champ de bataille. Si l’ennemi ne savait pas cela, je tiendrais pour impolitique de l’avoir écrit ; mais ils le savent, et cependant ils ne savent que devenir.

« Je demande humblement la permission de dire un mot ou deux. Je prie les fidèles de rendre gloire à Dieu. Je souhaite que cela puisse avoir influence sur les cœurs et les esprits de tous ceux qui en ce moment tiennent lieu de gouvernement, et leur inspirer la ferme confiance qu’ils peuvent tous de cœur s’approcher de Dieu, en le glorifiant par la sainteté de leur vie et de leurs entretiens, et que ces inexprimables miséricordes puissent enseigner aux frères dissidens de tous les côtés à s’accorder au moins à prier Dieu. Et quand le père de famille est si bon, pourquoi y aurait-il de telles querelles et de telles animosités parmi les enfans ? Et s’il n’est pas admis que ces succès soient comme les sceaux de l’approbation que Dieu donne à votre grand changement de gouvernement, — qui n’est pas plus vôtre que ces victoires ne sont nôtres, — du moins qu’ils disent avec nous, qu’ils disent tous, jusqu’au cœur le plus mal satisfait qu’il y ait parmi eux, que tout, victoires et révolutions, est juste jugement et œuvre puissante de Dieu, qui a renversé le fort de son tronc et qui demande compte du sang innocent ; que c’est lui qui brise en morceaux les ennemis de son église ; et qu’ils ne soient pas tristes