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à la philosophie de l’histoire, pour laquelle il n’y a, comme on sait, de principes que les faits, et nous aimons mieux lui dire : Voilà aujourd’hui deux cent cinq ans que les sectateurs du culte héroïque ont déchiré cette toile d’araignée de la royauté, et dans toute l’Europe, en l’an de grâce 1854, qui donc domine des iconoclastes ou de l’idole ? Trouvez-vous que les vieilles monarchies se soient dégagées de tout cet apparat de fictions abusives dont vous pensiez que le fanatisme destructeur avait fait justice, et le fantôme a-t-il cessé d’apparaître ? De bonne foi, qui a le plus rapproché les hommes du règne de la vérité ? Qui a été le plus près de les délivrer de mensonges oppressifs, ceux qui ont su discerner dans le passé le bien du mal, et transformer les institutions sans les détruire, ou ceux qui, frappant à coups aveugles et redoublés, ont prétendu tout briser pour tout, refaire, et qui n’ont souvent élevé sur les ruines du passé et jusque sur le pavois démocratique qu’une réaction victorieuse ? Le cant, si fort détesté de M. Carlyle, a-t-il cessé d’être le roi du monde ? Qui ne sait qu’en toute chose les excès de l’impiété ramènent la superstition et l’hypocrisie ?

Cromwell porta dans le procès de Charles Ier peu de scrupules et peu de passion. Il avait plus d’une fois déclaré qu’il ne souffrirait pas cette terrible voie de fait ; il n’était pas assuré que, le terrain une fois déblayé d’un roi, la route lui fût ouverte jusqu’au souverain pouvoir, déjà sans doute l’objet mystérieux de ses pensées ; il hésita donc : il voulait contenter ses passions, mais il ne se conduisait point par ses passions. Ayant un but, il était prudent, et la prudence au milieu d’un parti d’audacieux ressemble à l’indécision. Après avoir balancé quelque temps ou feint d’être incertain, il vit ou prétendit que le régicide ne pouvait être empêché, et tâcha d’éviter auprès des uns l’odieux d’en être l’auteur, sans perdre auprès des autres l’avantage d’en être le complice. Pour compléter la peinture du personnage, il faut le voir, au milieu de ces tragiques résolutions, attentivement occupé de ses affaires de famille. Ses lettres de cette époque roulent sur un mariage qu’il ménageait pour son fils aîné. Dès le 1er février 1649, ou deux jours après l’exécution du roi, il écrivait à un ami au sujet de cette alliance, et sa correspondance jusqu’au milieu d’avril de l’autre année est consacrée à en débattre les conditions. Le 1er mai suivant, Richard Cromwell épousa Dorothée Mayor, et s’établit dans sa nouvelle famille, à laquelle son père l’abandonna. « Je vous ai confié mon fils, écrivait-il à Richard Mayor trois mois après ; je vous en prie, donnez-lui des conseils. Je ne lui reproche pas son bonheur, mais je crains qu’il ne s’y laisse noyer. Je voudrais qu’il pensât aux affaires et les entendit, qu’il lût un peu l’histoire, étudiât les mathématiques et la cosmographie. Ce sont de bonnes choses, avec la subordination aux choses de Dieu ; cela vaut