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Burns en Écosse, elle s’appelle Jasmin dans le midi de la France. Aussi faut-il bien s’entendre quand on parle de ces aimables inventeurs. Ce qui les caractérise moralement, c’est que, nés dans la condition la plus humble, ils ont pu s’élever jusqu’aux sommets les plus lumineux de l’inspiration. Ce sont des poètes comme tous les poètes dans les langues reçues, quand on considère leur art et les procédés de leur esprit ; ce sont des poètes populaires uniquement par la source où leur imagination va puiser, et par les dialectes dont ils se servent. À ce dernier point de vue surtout, ils sont le phénomène exceptionnel et saisissant de contrées où il y a eu lutte entre divers idiomes, soit par suite de la conquête, soit par suite de la fusion obligée des races, et où le mélange ne s’est point tellement accompli, que quelque chose du passé ne survive encore et ne cherche à se produire.

Un des faits les plus curieux de notre temps, c’est ce réveil ou cette persistance de certains idiomes restés populaires, et que rien jusqu’ici n’a pu faire disparaître. On appelle souvent ces idiomes des patois comme pour leur imprimer un sceau de dérision ou de vulgarité. Ce ne sont nullement des patois dans le sens vulgaire de ce mot, — du moins quelques-uns. Ce sont des langues qui n’ont point eu la fortune pour elles, mais qui ont vécu et qui ont gardé assez de leur sève première pour servir de temps à autre d’instrument à quelque inspiration inattendue. Au milieu du cours éclatant et si différent de la civilisation intellectuelle, pourquoi n’y aurait-il pas un intérêt particulier dans ces éclairs qui jaillissent parfois de l’obscurité où sont tombées ces langues ? Ce n’est pas seulement au point de vue littéraire que cet intérêt peut exister ; l’histoire y trouve ses lumières, les plus délicats problèmes en ressortent. Comment ces langues se sont-elles formées, et quelle a été leur destinée ? Par quels mystérieux et intimes rapports se lient-elles au mouvement général de la civilisation ? Que représentent-elles dans l’ordre littéraire aussi bien que dans l’ordre de la politique et de l’histoire ? — Ce qu’elles représentent littérairement ? Elles sont à coup sûr une forme spéciale et distincte d’une certaine inspiration populaire. — Ce qu’elles représentent historiquement ? Débris des idiomes locaux mêlés à la langue latine, l’idiome parlé encore aujourd’hui dans le midi de la France est le dernier témoignage de toute une époque, et cette époque, c’est celle de ce monde intermédiaire auquel on a donné le nom de monde roman.

Si c’est une assertion extrême de supposer qu’il a existé un monde de ce nom complètement constitué, défini et limité, ayant une langue unique, il n’est point douteux du moins qu’il s’est essayé quelque chose dans ce sens. Politiquement autant que littérairement, il y a eu l’ébauche confuse et vague d’un monde roman qui s’étendait à la