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rasseoir dans une bonne transaction constitutionnelle ; mais l’armée triomphante s’irritait, et partageait ses chefs. Ce fut alors que Cromwell provoqua l’acte du renoncement, ou celui par lequel chacun renonçait à cumuler des fonctions civiles et militaires. Le dernier lien entre l’armée et le parlement fut ainsi rompu. Elle devint un corps à part, tout ou rien. Formée du temps que les deux oppositions marchaient ensemble, elle dut être réorganisée sous l’influence exclusive d’un seul parti ; c’est ce qu’on appela une armée nouveau modèle. Elle eut pour général en chef sir Thomas Fairfax, et pour lieutenant-général Olivier Cromwell, qui donna sa démission pour obéir à l’acte de renoncement, et s’en alla gagner la bataille de Naseby pour se faire par exception proroger dans son commandement en restant membre des communes.

C’est dans cette conduite, ce me semble, que se décèlent les divers élémens de ce caractère aussi compliqué que sa politique. Si l’on veut voir comment l’ardeur religieuse se mêlait naturellement à tous ses actes et colorait son langage, il faut lire les lettres qu’il écrivait le lendemain de ses batailles. C’est là que l’on admirera ce mélange de la conviction et de l’art, deux choses qui sont rarement puissantes, si elles ne sont réunies.

La révolution anglaise n’a rien de plus original que son année. Des soldats qu’anime seul l’esprit révolutionnaire sont ordinairement de mauvais soldats ; mais des soldats que le zèle religieux a recrutés, que soutient l’enthousiasme d’une foi austère et sombre, peuvent former à la fois la plus factieuse et la plus disciplinée des années. Le chef de pareils hommes n’en peut être obéi qu’autant qu’il joint aux qualités du guerrier l’ardeur exemplaire et l’inspiration communicative du croyant ; il faut que ses ordres du jour soient des sermons, et qu’il porte aussi dans les camps le glaive de la parole. Avec toute sa capacité pour la guerre, Cromwell ne fut jamais devenu le premier général de son parti, s’il n’avait eu son ardeur mystique et son ardent et vague langage de prophète. Le puritanisme était la condition de son autorité et de son succès, et ne pouvait pas plus se feindre que les autres qualités nécessaires d’un chef, le courage, la décision, l’activité. Ceux qui n’y ont vu qu’un artifice croient apparemment qu’on se donne à commandement le talent de conduire les hommes. Cela n’empêche pas qu’il ait pu faire parfois un usage calculé des sentimens même qu’il éprouvait ; on emploie sa volonté à se servir de sa nature, et l’on joue supérieurement le rôle dont on a réellement le caractère ; même dans l’ordre spirituel, on n’est pas un hypocrite parce qu’on tire parti de ses vertus. Et quel est l’apôtre qui ne s’arme pas de ses souffrances héroïquement supportées pour propager sa foi ? Les politiques à plus forte raison ne sont pas des