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il aurait bien vite compromis celle qu’il avait prise à sa charge, si, grâce à l’esprit du temps, un sombre et pur enthousiasme n’eût développé en lui quelques vertus presque égales à ses passions. Le puritanisme l’obligeait du moins à se vaincre en quelque chose et lui donnait ainsi une gravité dans la licence et une moralité dans le mal qui accrut et contint son énergie. Seul, le radicalisme politique aurait pu tout perdre. Les théories de rénovation sociale, qui furent à cette époque poussées à leur extrême limite, comme il arrive dans les jours révolutionnaires, n’auraient produit qu’anarchie impuissante et rapide réaction. Avec elles et comme elles, la révolution aurait promptement reculé devant l’opinion indignée, si un stoïcisme mystique, un calvinisme exalté et rude, n’eût donné au désordre même un caractère de réforme morale et fait régner au sein des violations de la justice et de l’humanité l’idée d’une régie supérieure et la notion imparfaite, mais rigoureuse du devoir.

L’histoire du parti parlementaire est celle des luttes intestines des presbytériens et des puritains, c’est-à-dire du parti modéré et du parti extrême. Celui-ci devait à un certain moment l’emporter. Les indépendans avaient échangé le joug des conventions sociales contre celui d’une foi ardente. Il subsistait donc en eux le sentiment d’une obligation ; ils étaient capables d’un absolu dévouement. De là cet esprit guerrier qui se mêlait bizarrement à l’esprit d’indépendance ; l’année était en même temps ce qu’il y avait de plus ennemi de toute hiérarchie religieuse ou civile et de plus soumis au commandement, pourvu qu’il fût exprimé au nom de la discipline et de la cause. C’était pour le parlement, pour les tribunaux, la garde prétorienne de l’anarchie, l’insurrection en permanence ; mais en elle-même, fortement organisée, volontaire dans son principe, librement asservie à ses croyances, consacrée comme par un vœu spirituel au métier de combattre, elle avait ce qui manque souvent aux révolutions, un frein moral. Et il y avait dans son sein un homme qui partageait toutes ses convictions, toutes ses passions, et qui les dominait en les partageant. Là est le secret, l’art suprême de Cromwell. Toujours au premier rang d’une faction anarchique, il ne laissa jamais périr autour de lui ni en lui l’obéissance et le commandement.

Aussi s’appliqua-t-il avec un soin égal à maintenir la subordination dans l’armée et à rendre celle-ci indépendante du gouvernement. C’était faire d’elle un énergique moyen de désordre et de pouvoir : c’était la façonner pour l’anarchie et pour la dictature. On le vit bien à une certaine heure d’hésitation générale (1645), où le roi vaincu ne voulait ni tout céder, ni tout rompre, où les presbytériens, se trouvant assez vainqueurs, s’empressaient de négocier par crainte d’être emportés trop avant. Il semblait que tout pouvait encore se