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de ce temps, à l’impérieux besoin de réaliser par la loi, par la force, par la guerre, une révolution sociale où pût se trouver à l’aise et toute puissante l’idée même qui dans l’individu n’était qu’exaltation, prière et prédication. Ce mélange de sacré et de profane, de rêverie et d’action, d’ascétisme et d’ambition, de mysticité et de politique, ne semble pas s’être rencontré au même degré dans aucune autre l’action humaine, et devait se trouver dans le chef de celle-ci élevé aux proportions de la grandeur individuelle. Et comme un tel assemblage ne va pas sans fanatisme, ni le fanatisme sans hypocrisie, ni l’un ni l’autre sans l’artifice et la violence, ce devaient être là les mauvais côtés de Cromwell. Enfin à travers tous ces penchans, tous ces talens, tous ces vices, il devait y avoir un don particulier dont le nom est à découvrir, celui qui fait les dominateurs du monde, celui par lequel L’homme qui ressent tout ce qu’éprouve son parti, sa secte ou son époque, est cependant capable de trouver dans les passions mêmes qu’il partage une matière qu’il exploite et un instrument qu’il manie.

Quelques momens de la vie de Cromwell, pris au hasard et considérés isolément, feraient ressortir à part chacun des points de vue qui viennent d’être présentés tout à la fois.

Arrêtons-nous, par exemple, aux deux premières lettres du recueil de M. Carlyle. Rien ne s’y trahit que la préoccupation religieuse. Cromwell pourtant avait déjà traversé le parlement de 1628, mais il n’y avait ouvert la bouche que pour dénoncer la censure exercée par l’épiscopat sur la chaire évangélique. Il s’occupait maintenant avec beaucoup d’activité, et probablement beaucoup de capacité, de sa ferme et de soit agriculture, dépendant ses lettres ne respirent que zèle et dévotion. Il écrit à son cousin Saint-John, un des ancêtres de l’impie Bolingbroke, et de la cellule d’un monastère, d’une grotte de la Thébaïde, un solitaire ne laisserait pas échapper de plus vives aspirations d’une ferveur rêveuse. Pendant toute sa vie, on retrouvera dans ses lettres de famille les mêmes émotions et le même langage. À qui persuadera-t-on que c’est là un rôle appris par cœur et une imposture de tous les jours ? Et pourtant comment peut-on se le représenter confit dans la vie dévote, ou même renfermé dans l’étroit horizon de l’esprit, de secte, comme un homme convaincu que l’idée et la parole gouvernent toutes seules le monde ? Tel est le sectaire. Or il sera plus que cela, et il n’est pas même encore cela ; il n’est encore qu’un pécheur qui se console, et se relève, et se rassure par la foi, qui voit la grâce dans tout ce qui l’entoure, la lumière dans tout ce qu’il adore, et qui tour à tour, en exalté calviniste, abaisse avec mépris la nature humaine, célèbre avec ravissement la confiance chrétienne, tout plein d’humilité, tout radieux d’espérance.