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et Discours d’Olivier Cromwell avec des explications, ce titre est modeste et donne même peu d’espoir de trouver rien de tout à fait neuf dans le recueil. Il ne semble guère probable qu’on ait découvert beaucoup de manuscrits de ce grand homme d’action, ni qu’on eût négligé de rendre public jusqu’ici tout ce qui pouvait éclairer sa pensée et sa vie. L’inédit en effet n’afflue pas dans cette collection. L’auteur n’a fait que reprendre çà et là toutes les pièces authentiques où la main de Cromwell ne peut être méconnue, et il s’est borné à les ranger par ordre chronologique en les encadrant dans un commentaire perpétuel. Les circonstances dans lesquelles ces pièces, de simples lettres pour la plupart, ont été écrites, les individus qui y sont nommés, les événemens auxquels il y est fait allusion, tout est rappelé, expliqué avec un détail un peu capricieux, mais avec une curiosité et une exactitude qui finissent par transporter le lecteur au milieu même du temps où vivait Cromwell. L’ouvrage manque de composition, on peut dire qu’il n’en comporte pas. L’auteur ne fait ni récits ni portraits. Il caractérise les choses et les hommes en passant ; il ne donne à chaque physionomie que quelques coups de crayon. Enfin, loin de s’oublier lui-même, il fait un continuel retour sur ses opinions personnelles, sur ses thèses favorites. Il plaide une cause et développe partialement un système, quand il ne semble se proposer que de fixer des dates, de constater des faits, de mettre en scène un personnage, et cependant il frappe, il attache, il vous émeut dans le sens de ses idées plutôt qu’il ne vous persuade, et ses rêveries mêmes finissent par réaliser aux yeux des lecteurs les illusions qui apparaissent à son esprit. Mais il faut reprendre d’un peu plus haut et rappeler quelle est la nature du talent de M. Carlyle et des idées auxquelles ce talent est consacré.

Presque toute l’originalité, toute la nouveauté de pensées ou de formes qui, dans ces derniers temps, a enrichi, agrandi ou dépravé la littérature de l’Angleterre comme de la France, vient de l’Allemagne. L’esprit systématique, dans le sens du mot le plus compréhensif, est un esprit germanique, toutes les fois que, par l’alliance de la métaphysique et de l’imagination, un talent ingénieux et confus, subtil et vague, parvient à combiner les faits les plus divers sous une généralité qui ne les unit qu’en les mutilant ou en les exagérant ; toutes les fois que, sous prétexte de donner le mot des énigmes historiques, un observateur des choses humaines transforme les faits en idées, déduit les événemens comme les points d’une série dialectique, personnifie des principes, formule des individus, et change le drame de l’histoire en une représentation littérale d’un sens figure ; toutes les fois que, par des rapprochemens forcés, par des analogies spécieuses, la philosophie réussit à tout confondre