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s’agit de la France, de nommer Béranger, C. Delavigne, Alfred de Musset, Sainte-Beuve. La même remarque se reproduit à propos des historiens ; M. Cantu ne mentionne pas même par un mot MM. Daunou, Michelet, Amédée Thierry, Henri Martin, Bazin, Saint-Priest. Continuateur de Sismondi, M. Renée s’étonne vivement de voir traiter avec dédain un homme à la fois savant et modeste, qui a voué sa vie tout entière à l’une des œuvres historiques les plus importantes et les plus mûrement étudiées de notre temps, et à cette occasion, il n’épargne point la critique à M. Cantu ; cette fois encore, nous sommes complètement de l’avis de M. Renée. Les jugemens de M. Cantu, on le voit par ce que nous venons de dire, donnent lieu à des objections assez nombreuses ; mais grâce aux rectifications toujours très positives du traducteur, la vérité est pour ainsi dire en face de l’erreur, et par l’immense quantité de faits qu’elle renferme, l’Histoire de cent ans présente une lecture à la fois attachante et instructive.


CH LOUANDRE.


LE DÉSERT ET LE SOUDAN, par M. le comte d’Escayrac de Lauture[1]. — Nous possédons en ce temps deux espèces fort distinctes de relations de voyages. Nous avons des voyageurs d’une race inconnue aux autres siècles, qui se recrutent généralement parmi les poètes ou les romanciers fantaisistes dont la fantaisie est à l’agonie. Redoutant avec raison la rude application du proverbe que « nul n’est prophète en son pays, » ils courent dans les pays étrangers, pour en revenir annoncer à leurs compatriotes qu’ils ont été prophètes dans les contrées lointaines. Ces sortes d’excursions ne sont que la marche triomphale et burlesque d’une personnalité orgueilleuse, l’apothéose de cette personnalité à l’aide des facilités que le proverbe accorde à celui qui vient de loin. Heureusement il y a d’autres espèces de voyages ; il y en a qui sont entrepris dans l’intérêt de la religion, de la civilisation, de l’art ou de la science, rêvés par de hautes intelligences, menés à bien par des cœurs virils, et qui demandent, pour être réalisés, la foi en une vocation, l’âme ardente, l’énergie invincible. Ces voyages se résument, eux aussi, en des livres, et ces livres véridiques, clairs et modestes, ne font pas toujours à leur début ce bruit que la fantaisie émeut pour un instant autour d’elle, mais ils vivent par leur valeur réelle, et ils restent pour leur utilité et leur intérêt sérieux. Ces livres sont comme ces traces de leur passage et ces monumens de leur audace que les pionniers laissent au milieu des déserts : monumens simples sans doute, mais traces indestructibles que les descendans retrouveront un jour, lorsqu’ils s’en iront conquérir définitivement les lieux explorés par leurs ancêtres.

L’ouvrage que vient de publier M. d’Escayrac de Laulure est un de ces livres. M. d’Escayrac a parcouru pendant huit ans le sol de l’Afrique, particulièrement ces immenses espaces, à peine connus jusqu’ici, qui s’étendent depuis l’Algérie, jusqu’au 10° degré de latitude, sous le nom de Sahara et de Soudan. La relation qu’il publie est le résumé de ces huit années d’explorations, et c’est un spécimen fort curieux de ce que j’appellerais la géographie transcendante, si ce mot pouvait se concilier avec l’intérêt qui

  1. Paris, Dumaine, passage Dauphine.