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dier Hore a été la première victime. Le reste du régiment insurgé, après cette première défaite, a évacué le fort de l’Aljafeira et a gagné la campagne. À peine cette tentative insurrectionnelle a-t-elle été comme à Madrid, le gouvernement a mis immédiatement toutes les provinces en état de siège et a pris les mesures les plus sévères. Divers généraux, tels que le général Serrano, le général Manzano, le général Nogueras, ont été cantonnés dans des villes éloignées de Madrid. Le général Zabala a reçu des passeports pour Bayonne. Un certain nombre d’arrestations ont été opérées, ces arrestations ont frappé jusqu’ici MM. Cardero, Gonzalez Bravo, Alejandro Castro et les rédacteurs de divers journaux. Voilà donc un premier résultat de cette pénible situation où se débat l’Espagne. Maintenant quelle sera la conduite du gouvernement ? L’insurrection récente paraît devoir précipiter la réalisation des projets de réforme constitutionnelle que nourrissait le ministère. C’est à des cortès constituantes, dit-on, que serait présenté le projet de constitution nouvelle, et cette constitution elle-même modifierait sous plusieurs rapports le régime politique actuel. Le sénat, pour sa part, porterait la peine de son opposition dans ces derniers temps ; il se recruterait par le mode électif, c’est-à-dire que les provinces nommeraient trois candidats sur lesquels la reine choisirait le sénateur. Pour le sénat comme pour le congrès, un système électoral nouveau serait mis en pratique, ce serait le système à deux degrés. Dans les deux chambres, la nomination du président appartiendrait à la couronne comme aujourd’hui. Les fonctionnaires de l’ordre judiciaire ne pourraient être ni députés ni sénateurs. Enfin le nombre des membres du congrès serait considérablement réduit. Quelque apparence libérale qu’il y ait à certains points de vue dans ces projets, qui paraissent être ceux du gouvernement espagnol, il n’est point douteux que, pour le moment, le pouvoir royal y trouvera des élémens nouveaux de force. En sera-t-il toujours de même ? Ceci est une question différente. Mais en dehors des considérations politiques qui s’attachent à ces plans de réforme, ces événemens ne sont-ils pas de nature à inspirer plus d’une réflexion douloureuse ? La première, c’est de voir l’insurrection militaire se manifester de nouveau au-delà des Pyrénées. Il y a plus de dix ans que l’Espagne était affranchie de ce fléau, et le général Narvaez n’avait pas peu contribué à ce résultat. Aujourd’hui il faut se demander si la tentative récente est un fait isolé, ou si elle est un symptôme de l’état de l’armée. Et dans quel moment ces épreuves viennent-elles tomber sur l’Espagne ? C’est justement à l’heure où il serait le plus utile à l’intérêt général de l’Europe que chaque pays restât libre de ses forces et de ses ressources. Il serait difficile dès ce moment de fixer avec précision le vrai caractère du dernier mouvement de Saragosse. On peut en voir du moins le résultat, et il rend plus sensible encore cette situation d’un pays considérable, que ses déchiremens séquestrent en quelque sorte des grandes affaires de l’Europe et du monde. ch. de mazade.