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nombre de publications destinées à bouleverser toutes les lois de la philosophie et de l’histoire. Les explications les plus simples et les plus naturelles ne suffisent plus, le merveilleux et le surnaturel sont invoqués à tout instant ; la Providence est prise à témoin pour le moindre objet ; on la mêle à tous nos petits actes, à toutes nos petites passions, et si comme dans notre siècle la civilisation et l’humanité ont à subir de cruelles épreuves, on en vient à se réfugier dans la prédiction des catastrophes suprêmes, de la fin du monde. C’est la pensée qui se retrouve au fond du livre de M. de Mirville, toujours à propos des tables tournantes. C’est le thème d’un livre écrit par un ecclésiastique sur la raison des temps présens. Que pourrait-on répondre à cela ? La réalité est que l’humanité n’est ni aussi bien portante que quelques-uns voudraient le faire croire, ni aussi malade que d’autres le disent. Le propre de notre temps plus que de tous les temps, c’est qu’il est obligé à lutter sans cesse pour sauvegarder toutes les vérités religieuses, morales, philosophiques, et que tout le monde a sa part dans cette lutte. Or, indépendamment des forces que prête la religion, s’il est une arme sûre et efficace pour soutenir le combat, c’est le bon sens, c’est l’esprit de conduite, c’est la fermeté d’une raison saine, éclairée un peu moins, on en conviendra, par un phénomène ridicule que par la leçon permanente des événemens et les spectacles de l’histoire.

Plutôt que de chercher les lois du monde dans ces visions souvent puériles, ce qui est bien plus simple, c’est de se rapprocher de la réalité, c’est d’observer l’histoire dans ses manifestations les plus diverses, dans ses phases successives. Là on peut apprendre comment les civilisations grandissent et par quelles causes elles s’énervent et se dégradent, comment ces êtres collectifs qu’on nomme les peuples passent par toutes les fortunes, comment aussi les mêmes choses se reproduisent sans cesse à travers les siècles sous des noms différens. Sans doute il faut en venir alors à des faits précis, à des données qui n’ont point le charme de l’inconnu et du merveilleux ; mais l’esprit se sent du moins sur un terrain plus solide et plus sûr. Ouvrez le livre de M. Combes sur l’abbé Suger, son ministère et sa régence ; vous trouverez la monarchie française dans une des périodes les plus critiques et les plus laborieuses de sa formation ; vous verrez reparaître la figure d’un de ces prêtres hommes d’état d’autrefois. Suivez M. Charles Gay dans ses recherches diplomatiques sur l’établissement de la maison de Bourbon à Naples ; vous assisterez à toute cette mêlée d’intérêts qui a rempli une partie du XVIIIe siècle, et dont quelques-uns des résultats subsistent encore. Le passé le plus lointain lui-même a ses lumières, et certes il n’est point de spectacle plus instructif que celui de cette Grèce antique dont M. Filon vient de retracer le tableau dans son Histoire de la démocratie athénienne, en s’éclairant des philosophes grecs, des orateurs, des poètes. C’est là surtout qu’on peut voir comment les mêmes choses peuvent se reproduire. Un poète comique, Aristophane, ne peignait-il pas déjà, il y a plus de vingt siècles, ce brave Populus toujours caressé, pressuré et berné par tous les ambitieux, et Lysistrata allant au club des femmes ? « Tu veux faire une constitution, dit Populus ; cela n’est pas bien neuf. » Il n’est pas jusqu’au fameux axiome socialiste sur la propriété qu’Aristophane n’ait trouvé. À tout prendre, l’histoire de toutes les démocraties