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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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28 février 1854.

Telle est la puissance de certaines situations politiques qu’elles ne font un pas que pour se mieux manifester dans leur grandeur ; elles ne se simplifient et ne s’éclaircissent qu’en s’aggravent. Il y a peu de temps encore, l’incertitude des négociations relatives à l’Orient restait tout à la fois le tourment et l’illusion de la conscience publique. Aujourd’hui le dernier mot redouté et attendu de cette longue crise n’est plus à prononcer. La clarté s’est faite sur tout ; les gouvernemens ont appelé la plus large publicité à leur aide pour ne laisser place à aucune méprise, faisant de l’opinion universelle l’arbitre de leurs efforts passés et de leurs résolutions présentes. La situation est tranchée de part et d’autre ; de part et d’autre aussi, on sait où l’on va, et si la Russie, insensible aux dernières tentatives qui ont été faites, a persisté jusqu’au bout dans les suggestions hautaines de sa politique, les puissances occidentales peuvent du moins marcher à la lutte qui leur est imposée avec le sentiment d’avoir tout épuisé pour échapper à l’extrémité fatale de la guerre. Ainsi l’Europe se trouve ramenée à l’une des plus formidables crises qui l’aient agitée depuis les grands chocs de l’empire. Seulement, et ce n’est pas le moindre signe des transformations contemporaines, l’attitude respective des divers peuples est loin d’être la même. C’est la Russie qui se trouve isolée aujourd’hui sur le continent au milieu de ses alliances dissoutes, c’est l’Europe tout entière qui est prête à lui opposer le faisceau de plus en plus serré de ses forces morales et matérielles.

En vérité, on peut le dire encore, l’empereur Nicolas avait accoutumé, jusqu’ici l’Europe à plus de prudence et de perspicacité. À la faveur des révolutions continentales, il avait su se donner les dehors d’un certain rôle modérateur et conservateur, et si on n’y pouvait voir un abandon de sa politique vis-à-vis de la Turquie, du moins devait-on présumer qu’il proportionnerait son action en Orient aux nécessités et aux devoirs du rôle qu’il ambitionnait