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près dans l’enfance. Admise comme un hôte quelquefois importun dans les petites comédies qu’on jouait sur les théâtres de la foire, la musique ne tarda point à dire au couplet comme Tartufe à Orgon :

La maison m’appartient, c’est à vous d’en sortir…

Duni fut le premier qui allongea les ariettes de ces fabliaux dramatiques qu’on appelait des opéras ; puis vinrent Monsigny, qui remplit ce cadre modeste de ses mélodies touchantes, Philidor et Grétry, qui fut la vérité même, et dont le génie valait mieux que le système qu’il a professé, après coup, dans ses Mémoires. Cette première période de l’histoire de l’opéra-comique finit à la révolution de 1789, où l’on voit apparaître des compositeurs d’un ordre plus élevé. Méhul dans Euphrosine et Corradin, dans Stratonice et dans Joseph, Le Sueur dans la Caverne, Cherubini dans les Deux Journées, Berton dans Montana et Stéphanie, transformèrent la comédie à ariettes de Duni en un tableau dramatique puissant, où l’art musical se donne libre carrière tant dans la coupe et la complication des morceaux d’ensemble que dans la vigueur et le coloris de l’instrumentation. Cette révolution s’est opérée dans l’espace de cinquante ans. Après ce grand effort, qui se prolonge jusqu’en 1810, succède un moment d’arrêt dans le développement musical de la comédie lyrique, et cette période de transition est remplie par l’aimable génie de Boïeldieu et le talent facile de Nicolo. La Dame blanche, qui annonce clairement l’influence de Rossini sur l’école française, Zampa, le Pré aux Clercs, d’Hérold, et le Domino noir, de M. Auber, marquent la dernière transformation d’un genre qui n’était, il y a cent ans, qu’une chanson illustrée de quelques fredons. Par ce coup d’œil rapide jeté sur l’histoire de l’opéra-comique, on peut se convaincre que cette forme dramatique, qui semble être l’expression la plus invariable du goût national, a déjà subi trois révolutions importantes, et qu’elle n’a cessé de suivre les progrès de l’art musical depuis Duni jusqu’à M. Auber. Cependant, à travers ces transformations successives qu’a subies l’opéra-comique depuis sa naissance jusqu’à nos jours, on peut y apercevoir une qualité permanente, qui est celle de l’esprit français lui-même, et qu’il manifeste dans toutes ses œuvres : c’est le sentiment de la vérité dramatique. S’il y a un domaine où la France, soit incontestablement supérieure à toutes les nations modernes, c’est son théâtre. Sans parler de Molière, qui est unique, on ne trouve dans aucune littérature de l’Europe un pareil ensemble de chefs-d’œuvre et de pièces dramatiques qui se distinguent par l’élévation et la vérité des caractères. Or cette qualité précieuse de la vérité, que la France recherche dans toutes les productions de l’esprit humain, et qu’elle préfère même à la beauté, cette qualité qu’on remarque dans Poussin, dans Corneille, dans Gluck, dans Spontini, aussi bien que dans Grétry, Dalayrac et Boïeldieu, est aussi la qualité saillante de l’œuvre M. Meyerbeer.

Oui, c’est un réaliste puissant que l’auteur de Robert le Diable et des Huguenots, et c’est pour cela qu’il a dû réussir plutôt en France qu’en Allemagne, pays de l’idéal, et qu’en Italie, région fortunée des belles formes. Il poursuit le succès comme un chasseur intrépide poursuit le gibier farouche, sans se soucier des obstacles qu’il rencontre, ni des précipices qu’il fait franchir à ses auditeurs aux abois. Pourvu qu’il atteigne l’expression nécessaire,