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plus vif que la reconnaissance, qu’il serait heureux de voir partager. Séduit par les charmes et surtout par le caractère de cette jeune fille, dont il ne connaît pas l’origine, et qui vit modestement avec un frère de son commerce de vivandière, Pierre le Grand, sous le costume d’un ouvrier charpentier nommé Peters, s’établit en face de la maison de Catherine avec l’espoir d’attirer ses regards et de conquérir son amour. Nous voilà déjà bien loin du grand homme qui a fondé un empire immense, et dont le testament politique trouble encore aujourd’hui la paix du monde. Quoi qu’il en soit de cette belle invention de M. Scribe, Peters, pour mieux s’insinuer dans les bonnes grâces de Catherine, fait la connaissance de son frère George Skavronski, qui est aussi charpentier de son état. George possède un très joli talent d’agrément sur la flûte, qui fait le bonheur des jeunes filles du pays ; il donne même des leçons, et Peters s’estime trop heureux d’être au nombre de ses élèves et de pouvoir tous les matins jouer de la flûte sous les fenêtres de Catherine. Pierre le Grand transformé en pastor fido, en une sorte de Tityre qui chante son amour sur des pipeaux rustiques… recubans sub tegmine fagi ! je vous le dis, en vérité, il n’est que M. Scribe pour avoir de ces idées-là.

Peters, fort curieux de connaître tout ce qui se rattache à l’origine de Catherine, apprend, de son frère George, qu’ils sont nés tous les deux dans l’Ukraine, d’une diseuse de bonne aventure qui a prédit à sa fille une grande destinée. Devenue orpheline, Catherine a quitté le pays et s’est mise à voyager avec son frère, disant aussi la bonne aventure aux pauvres gens qui la consultaient, jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés dans la Finlande, où cette fille intelligente et active a établi un petit commerce d’eau-de-vie qui lui procure une certaine aisance. George est même sur le point d’épouser la nièce du cabaretier Reynold, Prascovia, lorsqu’on apprend que le commandant d’un corps d’armée russe exige du village douze recrues, parmi lesquelles George doit être compris. Cet événement, qui renverse tout à coup le bonheur qu’éprouvait Catherine de voir son frère honorablement établi par un bon mariage, la décide à prendre un parti si extrême, qu’on a toutes les peines du monde à se l’expliquer. Sans plus songer à l’amour qu’elle commence à ressentir pour Peters, dont elle remarque l’énergie sauvage et réfrène les penchans grossiers, elle veut remplacer son frère, ne fût-ce que pour quinze jours, afin de lui donner le temps de conclure ce mariage, qui lui a coûté tant de peine à préparer. C’est ainsi que, sous les habits de son frère, Catherine va rejoindre le corps d’armée dont elle doit faire partie et que se termine le premier acte.

Le second acte se passe tout entier dans le camp de l’armée russe, dont les soldats s’amusent à des exercices militaires. Catherine, sous le costume d’un jeune conscrit tout nouvellement enrégimenté, monte la garde derrière la tente du général en chef. À sa grande surprise, elle voit son ami Peters buvant à perdre la raison avec son favori Danilowitz, qui n’est autre qu’un pauvre pâtissier qu’il a rencontré dans ce même village où il a connu Catherine. Celle-ci. ne pouvant s’expliquer la cause d’un tel changement de fortune (car son ami porte, maintenant un bel uniforme de capitaine sous lequel Pierre le Grand a cru nécessaire de cacher sa grandeur), veut forcer la consigne et pénétrer dans la tente où elle voit un si triste spectacle pour son