Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de temps nous serons séparés l’un de l’autre, ni s’il me sera donné de vous revoir encore une fois avant de mourir; mais quelle que soit la volonté de Dieu à cet égard, je m’y soumettrai sans murmures, si ce n’est sans douleur. Vous avez été et vous serez jusqu’à mon dernier soupir l’unique objet de mes plus vives préoccupations. Ayant eu le malheur de perdre, trop tôt, hélas! votre père, j’ai concentré sur vous toutes les tendresses de mon âme. J’ai pris un soin particulier de votre éducation, j’ai versé dans votre cœur la semence des plus pures doctrines, je l’ai nourri du pain fortifiant de l’Évangile, et ces pieux sentimens, qui vous ont déjà valu des protecteurs si généreux, vous attireront partout la bénédiction de Dieu et l’estime des honnêtes gens. Conservez donc précieusement, mon fils, ce trésor toujours inaltérable au fond de l’âme. Que la religion soit le guide de toutes vos actions : c’est le moyen le plus sûr d’être heureux dans ce monde et dans l’autre, car « mon joug est léger, a dit le Seigneur, et quiconque me confesse, devant les hommes, je le confesserai devant mon père, qui est aux cieux ! »

« Restez humble de cœur, rendez aux grands le respect qui leur est dû, et n’enviez aucune supériorité, car c’est la volonté de Dieu qu’il y ait dans ce monde des riches et des pauvres, des faibles et des puissans. Je ne prétends pas vous dire qu’il faille supporter l’injustice sans se plaindre, ni voir avec indifférence le triomphe de l’iniquité. Au contraire, il est bon que la conscience ne tombe jamais dans un lâche engourdissement et qu’elle flétrisse, au moins en silence, les actes coupables qui échappent pour un jour à la justice des hommes; mais il faut prendre garde de confondre l’indignation que doit toujours exciter le mal avec l’orgueil, qui, en troublant la sérénité de l’âme, empêche de voir la vérité. Tout se tient en nous, mon fils, et un vice du cœur produit bientôt une erreur de l’esprit. N’est-ce pas ainsi que les anges rebelles, pour n’avoir pu supporter la gloire de Dieu, ont méconnu sa toute-puissance et ont dû à la plus mauvaise des passions la perte de la félicité suprême ?

« Je ne suis qu’une simple femme et n’ai reçu qu’une instruction modeste; mais votre père, qui était fort éclairé et qui avait beaucoup étudié pour se rendre digne des emplois de la république, me disait souvent que ce qu’on appelle la science est d’un bien faible secours dans les épreuves de la vie. C’est par le caractère que les hommes sont grands et forts, disait-il, et le caractère se forme lentement par la discipline et les bons exemples. Il importe donc de s’habituer de bonne heure à aimer le bien et surtout à le pratiquer, car des principes qui n’aboutissent pas à des actions efficaces ressemblent à cet arbre stérile dont parle l’Évangile, qui n’est bon qu’à être jeté au feu. Aussi défiez-vous des belles paroles, «n’ouvrez pas votre âme à toutes