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promoteurs de désordre en Europe, que l’Autriche a des raisons de redouter, et qui même semblent se croire à la veille de la réalisation de leurs projets[1]. »


Le cabinet autrichien répondit avec empressement à ces avances. On voit, par le compte rendu de plusieurs conversations de lord Westmorland avec le comte de Buol, que l’Autriche avait en ce moment trois préoccupations : obtenir que la Porte ne répondit pas par une déclaration de guerre à l’occupation des principautés, agir sur le gouvernement russe pour lui faire abandonner sa politique vis-à-vis de la Turquie, raviver l’esprit du traité de 1841 et rallier l’action commune des quatre puissances. Il donnait du reste sur la communauté d’opinion qui l’unissait avec la France et l’Angleterre, au sujet des questions de principe et d’intérêts engagés dans le conflit turco-russe, les assonances les plus satisfaisantes. Nous n’en citerons qu’un exemple : « J’ai lu au comte de Buol, écrivait le 17 juin lord Westmorland à lord Clarendon, votre dépêche du 7 courant. Il a été fort satisfait des expressions de votre seigneurie. Il désire que je vous rapporte qu’il se considère comme entièrement uni à votre politique touchant l’empire turc ; il regarde le maintien de l’indépendance et de l’intégrité de la Turquie comme de l’importance la plus essentielle aux intérêts de l’Autriche, et il emploiera tous les moyens en son pouvoir pour assurer cet objet. Il m’a répété la déclaration qu’il m’a déjà faite, qu’il ne contracterait point avec la Russie l’engagement de ne pas s’opposer à elle par les armes. Il a même ajouté que, s’il était appelé à faire une intervention armée aux frontières, ce serait pour soutenir l’autorité et l’indépendance du sultan[2]. »

On voit qu’il était impossible de porter plus de bon vouloir et de ménagemens pour la Russie dans l’œuvre de conciliation que les puissances entreprirent, et qui a occupé pendant six mois la conférence de Vienne. Nous n’essaierons pas de raconter cette laborieuse négociation. Les incidens les plus importans en sont connus ; l’histoire quotidienne en serait trop confuse, et d’ailleurs la stérilité du résultat lui enlève tout intérêt. Deux fois les puissances crurent toucher au but, et deux fois l’obstination de la Russie trompa leurs efforts et mit leur œuvre à néant. La note de Vienne prit le sens des propositions du prince Menchikof en passant par le commentaire du comte de Nesselrode. La Russie aurait pu repousser les modifications turques, en se fondant uniquement sur la condition que l’empereur de Russie avait mise à son acceptation, que rien n’y serait changé ; mais il ne lui suffit pas de détruire l’ouvrage

  1. Corresp., part I, n° 252.
  2. Corresp., part I, n° 277. La même assurance est répétée plusieurs fois dans les dépêches de lord Westmorland.