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de l’équilibre européen, et elles avaient en même temps le plus pressant intérêt à empêcher la guerre. Le ménagement de cette situation passait donc par la force des choses aux mains des puissances ; c’était à elles de chercher le moyen d’empêcher la guerre, de trouver un biais qui put à la fois satisfaire l’amour-propre de l’empereur de Russie et sauver l’indépendance et l’intégrité de la Porte. Elles firent sur-le-champ les plus sincères, les plus actifs et les plus consciencieux efforts pour atteindre ce résultat.

Elles avaient à pourvoir à trois choses : veiller immédiatement à la sûreté du sultan, menacée par l’agression armée de la Russie ; obtenir de la Porte attaquée qu’elle ajournât les hostilités pour laisser à la diplomatie le temps de trouver une solution pacifique ; préparer enfin cette solution par leurs efforts concertés. Ces trois devoirs furent remplis.

La France et l’Angleterre venaient d’être personnellement trompées par la Russie ; elles avaient le droit de se défier du développement que pouvait prendre l’agression russe. Des quatre puissances, elles étaient, grâce à leurs escadres, celles qui pouvaient porter au sultan le secours le plus prompt et le plus efficace. Le 2 juin, lord Clarendon envoya à l’amirauté un ordre de la reine pour que l’escadre de l’amiral Dundas s’approchât des Dardanelles et se tînt à la disposition de lord Stratford[1]. La France, qui s’était mise plus tôt sur ses gardes, et qui dès le 23 mars avait appelé l’attention de l’Angleterre sur la nécessité de combiner les précautions des deux gouvernemens[2], se joignit à la mesure de l’Angleterre, et envoya son escadre à la baie de Besika, en recommandant à son ambassadeur de se concerter, pour les décisions à prendre, avec lord Stratford.

Les efforts pour trouver une solution qui put concilier la fierté du tsar et les droits du sultan devancèrent l’occupation des principautés par les Russes. Dans tout le cours des négociations antérieures, les cabinets européens et leurs représentons à Constantinople n’avaient cessé d’invoquer contre les prétentions de la Russie le traité de 1841, qui avait placé « les droits souverains du sultan » sous la garantie des cinq puissances. Le 12 avril, bien avant que les derniers actes de la mission du prince Menchikof eussent jeté la perturbation dans les affaires de l’Europe, M. Drouyn de Lhuys écrivait à M. de Bourqueney : « Il est évident que le cabinet de Saint-Pétersbourg, tout en protestant de son désir de prolonger le statu quo en Orient, ne parait pas croire beaucoup à sa durée et se tient prêt à tout événement. Cette attitude mérite la plus sérieuse attention, et si elle se

  1. Corresp., part I, n° 198.
  2. Documens français, n° 5.