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sened, même après les modifications importantes apportées à ce dernier par la suppression de l’article des patriarches, il a continué à nous refuser pour l’avenir toute espèce de garantie quelconque. Nous connaissons les efforts qu’il a faits auprès du sultan, comme auprès des membres de son conseil, pour l’encourager à la résistance, en cherchant à lui persuader que nos menaces ne dépasseraient pas la portée d’une pression morale, en lui promettant l’appui et les sympathies de l’Europe, s’il accordait à ses sujets l’égalité devant la loi et des privilèges plus conformes aux mœurs libérales de l’Occident. Enfin au dernier moment, quand le prince Menchikof avait consenti à abandonner même le sened modifié pour se contenter d’une note, quand Rechid-Pacha lui-même, frappé des dangers que le départ de notre légation pouvait faire courir à la Porte, conjurait l’ambassadeur britannique avec instance de ne pas s’opposer à la remise de la note formulée par le prince Menchikof, lord Redcliffe l’en a empêché, en déclarant que la note avait la valeur d’un traité, et qu’elle était inacceptable. »


Il va sans dire que cette accusation de M. de Nesselrode contre lord Stratford était fausse. Rechid-Pacha la démentit formellement en se référant aux dates et en faisant appel aux témoins de ses relations avec lord Stratford[1]. M. de Nesselrode, après avoir dénoncé l’ambassadeur, s’adressait à son gouvernement :


« Nous en appelons de ce jugement passionné à la raison et à l’impartialité du gouvernement britannique lui-même. Qu’il veuille bien examiner froidement le contenu et les termes de cette note, et après l’avoir méditée, qu’il nous dise, ce qu’elle offre véritablement de compromettant pour la dignité de la Porte, de dangereux pour sa sécurité intérieure, quel accroissement si grand d’influence elle nous donne, et si le prétendu risque qu’elle fait courir aux intérêts ultérieurs de la Porte pouvait un instant seulement entrer en balance avec les risques bien autrement graves auxquels son rejet, — entraînant, comme il était devenu inévitable, le départ immédiat de la légation impériale, — pouvait et peut encore, exposer la Porte Ottomane, l’Europe, et je dirai même, dans les circonstances actuelles, le monde social tout entier. »


Que pense-t-on de cette étrange façon de raisonner qui présentait comme un motif de céder aux exigences de la Russie les maux dont elle menaçait l’empire ottoman résistant à d’injustifiables prétentions ? En finissant, du reste, M. de Nesselrode proclamait comme un fait cette influence de la Russie sur les Grecs de l’empire ottoman que l’on ne voulait point lui reconnaître et régulariser comme un droit. Pour dernier mot, il disait à l’Angleterre que l’empereur ne pouvait plus reculer, et que toute concession de sa part serait un échec moral qu’il n’accepterait jamais.


« Que le gouvernement anglais nous permette de le lui dire en toute franchise : en se préoccupant à tel point des inconvéniens d’une convention,

  1. Rechid-Pacha to lord Stratford de Redcliffe, 21 juin 1853. Corr., inclosure 2, n° 322.