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que dans l’arrangement à négocier il n’est point question de faire révoquer ou ôter aux Latins les dernières concessions qu’ils ont obtenues par la note Ottomane du 9 février de l’an passé, mais simplement de faire concorder ces concessions avec les dispositions du hatti-chérif, en les dépouillant de ce qu’elles peuvent avoir d’exclusif, d’obtenir aux Grecs quelques compensations pour le tort qui leur a été fait, et surtout de les mettre à l’abri contre le retour de nouveaux préjudices.

« En général nous ne demandons pas mieux que de nous entendre à l’amiable avec le gouvernement français, en ayant égard à la position où il s’est lui-même placé, quoique toutes les concessions qu’on peut faire à sa susceptibilité n’aient presque toujours pour effet que de le rendre plus exigeant, en ce qu’il en prend acte comme d’un succès qui l’autorise à en chercher d’autres ; mais il faut qu’il se prête lui-même à nous en faciliter les moyens, au lieu d’agir en sens contraire, comme il vient de le faire si précipitamment par une démonstration dont les conséquences peuvent mettre en opposition nos désirs de conciliation et le soin de notre dignité. Le gouvernement anglais doit voir lui-même que la France n’est pas toujours accessible aux conseils de la modération, puisque les sages représentations qu’il lui a fait faire par lord Cowley n’ont pu empêcher le départ de l’escadre française.

« L’empereur vous charge, monsieur le baron, de remercier très particulièrement, en son nom, lord Aberdeen et lord Clarendon de la salutaire impulsion qu’ils viennent de donner aux résolutions du cabinet britannique. Le premier nous a offert, en cette occasion, un nouveau témoignage de confiance, auquel notre auguste maître est infiniment sensible. Le second, avec lequel nos relations viennent à peine de se nouer, les ouvre ainsi sous des auspices qui nous autorisent à espérer qu’elles seront des plus satisfaisantes. En se liant à nos assurances, en refusant de suivre la France dans une mesure, sinon hostile, au moins empreinte de défiance envers nous, l’Angleterre, dans les circonstances actuelles, a fait œuvre de bonne politique. Rien n’eut été plus à regretter que devoir les deux puissances maritimes s’associer, ne fût-ce qu’un moment et d’apparence plutôt que de fait, sur la question d’Orient, telle qu’elle est posée à cette heure. Quoique leurs vues à cet égard diffèrent au fond toto cœlo, cependant, comme le public européen n’est guère en état d’en faire la distinction, leur identité ostensible n’aurait pu manquer de les présenter sous l’aspect d’une alliance intime. L’ardeur française se fût hâtée d’exagérer, en les exploitant dans son intérêt, ces nouveaux semblans d’entente cordiale, et toutes les situations en Europe en auraient été à l’instant faussées. L’apparition simultanée des deux flottes rendait la question insoluble à Constantinople. Elle nous plaçait dans une position que nous n’aurions pu accepter, et qui n’eût plus permis à l’empereur, se trouvant ainsi sous le coup d’une démonstration comminatoire, de suivre librement ses inspirations conservatrices et pacifiques.

« De la part de la France isolée, la mesure perd beaucoup de ses inconvéniens, quoiqu’elle soit encore loin d’en être exempte. Aussi l’empereur ne s’en préoccupe-t-il que peu, et sa majesté n’y voit point de raison pour rien changer pour le moment à ses dispositions et vues antérieures. L’attitude de l’Angleterre suffira pour neutraliser celles qui, de la part des Français ou des