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— N’importe, il faut quelqu’un qui ait des mazilles[1]. J’ai ton affaire.

— Comment, mon parrain ?…

— C’est un particulier que tu connais, qui te veut du bien… dont tu fais ce qui te plaît… Hein ! devines-tu ?

— Seigneur ! s’écria Marthe, ce n’est pas… ce ne peut pas être… Et son œil épouvanté se fixait sur le vieux paysan.

— Eh bien ! pourquoi pas ? répliqua-t-il avec un ricanement embarrassé. Au diable qui trouvera à y redire ! Je ne m’en cache plus : il faut que tu sois maîtresse des Morneux.

La jeune fille ne put retenir un cri désolé, et se cacha le visage dans ses mains jointes.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Barmou en tressaillant ; ça ne te ferait-il pas plaisir, dis ?

— Oh ! pardon ! balbutia-t-elle sans oser lever les yeux, je sens toute votre bonté, seulement…

— Après ! finis donc ! s’écria le paysan, dont les sourcils se froncèrent.

— Se soyez point mécontent contre moi, reprit Marthe d’une voix suppliante : ce n’est pas ingratitude, non, mais… c’est impossible.

Jacques fit un soubresaut.

— Impossible ! répéta-t-il, et à cause ?

— A cause… de mes engagemens, murmura la filleule.

— Que veux-tu dire ? mille noms du diable ! est-ce que tu serais promise ?

Elle répondit un oui à peine articulé.

— Toi ! promise ! répéta Barmou. À qui ? où cela ? depuis quand ?

— Depuis deux années, au fils du régent de Gerzensée.

— Et tu ne m’en avais rien dit ?

— Parce que le mariage était encore loin. Aloïsius n’avait point d’école, et moi je devais rester ici.

— Et ta mère aussi ignorait tout ?

— Ah ! pouvez-vous le croire ? s’écria Marthe presque offensée. Que Dieu vous pardonne, mon parrain ; ma mère n’est-elle point maîtresse de moi, et ne doit-elle pas choisir le chagrin ou la joie de mon cœur ? C’est elle qui a dit qu’Aloïsius serait son fils.

— Ça ne peut pas être ! s’écria le paysan avec violence ; je gage que tu mens !

Les yeux de la jeune fille se remplirent de larmes.

— Comment mon parrain peut-il le croire,… dit-elle avec douceur, et quand m’a-t-il surprise parlant contre la vérité ? Il verra ma correspondance, je puis tout montrer.

  1. Des mazilles, des écus.