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— Du plus vrai du cœur et pour toujours, répliqua la jeune fille.

— Tu entends ? interrompit Barmou, dont le visage s’était éclaira, elle aussi te donne ton compte.

— Non, reprit vivement Marthe, qui tendit la main au jeune paysan ; je lui ai parlé comme lui à moi, et nous resterons amis. Pas vrai, François ?

— Vous pouvez en être sûre, répliqua celui-ci d’un accent altéré. Ce que vous venez de me dire est rude à entendre, mais vous avez été brave. Dieu vous récompense, Marthe !

Il serra la main de la jeune fille, reprit son chapeau posé sur une chaise et partit, Barmou le regarda s’en aller avec un méchant rire, puis, jetant un coup d’œil du côté de sa filleule, qui s’était remise à préparer le souper, il parut délibérer un instant avec lui-même. Enfin, comme s’il eût définitivement pris sa résolution, il referma la porte et s’approcha.

— Ainsi voilà une affaire réglée, dit-il gaiement, je suis débarrassé de ce saint-lâche de François, et toi aussi.

— J’espère bien le contraire, reprit Marthe, qui avait de l’attendrissement dans la voix, j’aurai toujours grande joie à le revoir.

— Possible, interrompit Jacques ; mais, pas moins, tu le refuses aujourd’hui et plus tard.

— Il est vrai, mon parrain.

Il s’assit près du foyer et la guigna. — C’est peut-être que tu veux rester fille ? demanda-t-il en baissant un peu la voix.

— Faites excuse, répliqua-t-elle sans oser lever les yeux, je n’ai pas dit cela, mon parrain.

— Ah ! ah ! reprit le paysan toujours plus réjoui, c’est donc seulement que tu ne le soucies pas de marier François[1] ?

Elle fit de la tête un signe affirmatif.

— Et peut-être bien, ajouta Barmou, que tu entrerais volontiers en ménage avec quelque autre ?

Elle répondit par un nouveau signe. Le vieux paysan approcha d’elle son visage. – Eh bien ! dit-il en scandant ses phrases comme un homme qui cherche ses mots, ça peut se trouver, fillole, ça se trouvera, je m’en charge.

— Vous ! s’écria Marthe.

— Pourquoi donc pas ? reprit Jacques, dont les regards plongeaient dans les yeux de la jeune fille ; seulement je ne te chercherai pas un traîne-guenilles comme François. Non, puisque tu n’as rien, il te faut un homme qui t’enrichisse et qui fasse un sort à la mère.

— Ni elle ni moi n’avons d’ambition, objecta Marthe.

  1. Marier pour épouser, locution vaudoise.