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— Pour ce soir, oui bien ! dit-il à demi-voix ; mais, si tu le veux, à la prochaine fête des brandons les boubes s’arrêteront ici.

— C’est bon ! répliqua la jeune fille, qui feignit de prendre la chose en plaisanterie et qui voulut s’échapper ; mais François la força de rester.

— Non, s’écria-t-il, je ne puis plus vivre ainsi ; j’ai le cœur trop lourd. Je veux que tu me dises la vérité. Depuis que tu es arrivée, je suis ton galant du fond de l’âme ; voilà le secret. Alors, dis-moi si ça t’agrée, et si tu veux être ma femme en tout honneur ! Réponds tout de suite, réponds…

— C’est moi qui vais te répondre, interrompit une voix furieuse.

Et François se sentit brusquement repoussé par Barmou, qui avait traversé la salle à pas de loup et s’était approché dans l’ombre.

— Le maître ! s’écria-t-il en reculant.

— Oui, le maître qui était là, répondit Jacques. J’ai tout entendu. vaurien. Nie donc, ose nier que tu parlais d’amour à la fillole !

— Pourquoi nier ? reprit le valet résolument ; il n’y a pas de honte, car je lui en parlais honnêtement et pour devenir son mari.

— Justement, c’est le pire, s’écria Barmou, dont cette excuse parut augmenter l’exaspération. Tu cherchais à l’apigeonner, mais c’est fini de rire ; rappelle-toi que d’aujourd’hui je te donne ton compte.

— Oui, répliqua, François, qui s’animait ; je le prends. Aussi bien j’en ai assez de vos gringeries. Vous avez toujours eu le foie blanc[1], comme on dit ; mais voilà déjà du temps qu’on ne peut plus faire façon de vous : il n’y a que Dieu qui saurait dire ce que vous avez.

— Mille perditions ! tu veux me pousser à bout ? s’écria Jacques en frappant du pied ; faut que ça finisse, ou sinon…

— Ne vous fâchez pas, mon parrain, interrompit Marthe, qui avait paru jusqu’alors honteuse et hésitante, mais qui prit enfin son parti : François m’a parlé avec franchise et en tout honneur, je dois lui répondre de même.

— Oseras-tu bien devant moi ? s’écria le vieux paysan.

— Laissez seulement, reprit la jeune fille avec une fermeté émue, personne n’aura à se plaindre ! — Puis, regardant le valet : — Je vous remercie, François, dit-elle ; votre amitié m’est à grande estime, et je vous en garderai toujours reconnaissance ; mais je ne puis être votre femme. Cherchez ailleurs le contentement que vous méritez, et puissent toutes les bénédictions de Dieu être sur vous !

— Marthe ! s’écria le jeune homme, qui avait changé de visage, ce que vous me dites là, est-ce donc à jamais et sans feintise ?

  1. Avoir le foie blanc, c’est-à-dire être atrabilaire. — Gringeries, gromlerics. — Apigeonner, câliner.