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— Non, interrompit François avec impatience ; mais je devrais être à cette heure, mon fusil sur l’épaule, avec les voisins qui donnent la chasse aux brûleurs de fénières. D’avoir manqué mon service par amitié pour vous, n’est-ce donc rien, et n’ai-je pas bien mérité un peu de reconnaissance ?

— Aussi avez-vous la mienne, répondit Marthe, et je voudrais qu’il vînt une occasion de vous en donner témoignage.

— Eh bien ! elle est venue ! répliqua vivement le valet, qui arrêta la jeune fille par le bras.

— Que voulez-vous dire ? demanda-t-elle saisie.

Il regarda autour de lui.

— Il faut que tu m’écoutes cette fois ! reprit-il tout bas en passant sans transition au tutoiement qu’il hasardait parfois dans les momens de familiarité intime ; j’attends pour ça depuis trop de jours et trop de semaines…

— Pour lors, vous attendrez bien encore jusqu’à ce que je sois libre d’ouvrage, reprit la jeune fille, qui lui échappa ; ne voyez-vous pas que rien n’est encore prêt pour le souper ?

François la suivit. — Écoute-moi et ne t’inquiète pas du reste, ajouta-t-il vivement ; ne sais-tu pas que je t’aiderai de bon cœur ? Laisse à ma charge tout ce qui te fatigue.

— Croyez-moi, restons comme nous sommes, chacun à ses devoirs, répliqua sérieusement Marthe ; on ne peut pas faire route avec tout le monde.

— Est-ce à dire que vous avez déjà choisi votre compagnon ? demanda le jeune paysan avec vivacité.

Elle allait répondre, lorsqu’un éclair lumineux raya la nuit et illumina la salle basse. Elle poussa un cri de surprise en courant vers la porte. Des clameurs joyeuses retentissaient au loin, et toutes les hauteurs brillaient de feux mouvans qui se croisaient dans la nuit.

— Au nom du Seigneur ! qu’est-ce que cela ? demanda-t-elle.

— Ne le savez-vous pas ? répondit le valet, qui était venu la rejoindre sur le seuil ; ce sont les boubes qui brûlent leurs alouilles[1], et qui vont descendre en chantant pour quêter aux portes.

— Ils vont alors venir ici ! s’écria la jeune fille ; que pourrait-on leur donner ?

— N’en ayez souci ; les boubes ne se présentent que chez ceux qui se sont mariés dans l’année, à cette fin de leur souhaiter joie, santé et de beaux enfans.

— Alors c’est affaire à d’autres ! dit Marthe, qui voulut rentrer.

Le valet l’arrêta par le bras.

  1. Alouilles, brandons allumés par les enfans le premier jour de carême.