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sérénité. La jeune Bernoise était à cet âge où l’on accepte sans marchander les tâches laborieuses, où, riche de vie, on donne volontiers son sang et ses larmes, où la couronne d’épines enfin est un supplice qui orne et une douleur qui relève.

Après une prière fervente, Marthe mangea presque gaiement le morceau de pain sec emporté du souper et se coucha, fermement décidée à tout supporter pour acquitter la dette de son père. Son ignorance soutenait sa bonne volonté, et lui donnait même espoir de rappeler l’oncle Barmou a de meilleures pensées. Avec plus d’expérience, elle eût su que les âmes endurcies étaient difficilement ramenées, que dans les conditions journalières les conversions étaient rares, et qu’il fallait, pour transformer les persécuteurs en apôtres, les éclairs miraculeux de la route de Damas ; mais elle n’en était point encore arrivée, à cette aride conviction qui arrête l’effort et éteint jusqu’au désir. Dans sa foi naïve, elle pensait que tous les cœurs doivent s’ouvrir sous les rayons de la tendresse et de la douceur.

Ainsi raffermie, elle se leva le lendemain dès le point du jour, descendit promptement et prit possession du domaine qui lui avait été assigné la veille par son parrain. Personne n’était encore debout ; il fallut qu’elle se mit au fait de tout sans guide et sans conseil, mais ce fut pour elle le moyen de mieux voir et de s’instruire plus complètement. Lorsque la Lise parut, elle trouva, à son grand dépit, le ménage déjà fait et les vaches tirées. Ne pouvant s’en plaindre tout haut, elle saisit le prétexte de quelques modifications apportées aux arrangemens intérieurs pour se récrier contre les nouvelles venues qui prétendaient tout réformer et affectaient un zèle toujours de courte durée. Marthe lui répondit tranquillement que, d’après la volonté de son oncle, le ménage la regardait seule désormais, qu’en ayant la responsabilité, elle devait en avoir la libre direction, et qu’elle demandait à Lise de ne pas plus s’en inquiéter qu’elle ne s’inquiéterait elle-même des travaux des champs.

Barmou entra comme elle achevait ces mots, et la Savoyarde, qui avait des raisons particulières de se croire quelque crédit près du maître, se mit à crier que la Bernoise l’insolentait, et qu’elle ne se laisserait pas ainsi marcher dessus par une étrangère. Elle en eût dit davantage, si le vieux paysan, qui avait apprécié d’un coup d’œil la besogne faite, ne lui eut imposé silence en lui ordonnant brusquement d’aller rejoindre François au labour. La résistance suppose une force intérieure qui participe de la vertu ; tout ce qui est corrompu s’affaisse ou se dissout : la servante avilie par une domination à laquelle elle n’avait rien su refuser rentra subitement dans ses habitudes serviles, et se hâta d’obéir.

Ainsi affranchie d’un contrôle humiliant. Marthe fit tous ses efforts