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Babyloniens poussent le fétichisme aux dernières limites, et l’Égypte épuise la superstition. Cette terre des sphinx emprunte la plupart de ses emblèmes religieux au règne animal ; elle divinise les quadrupèdes, les reptiles, les oiseaux, et fait avec des monstres des divinités qu’elle adore. Elle donne à Anubis une tête de chien, à Osiris une tête d’épervier, à Isis une tête de vache ; à Jupiter Ammon une tête de bélier, à Saturne une tête de crocodile ; elle bâtit des temples, elle creuse des étangs, pour y loger ses dieux oiseaux, ses dieux quadrupèdes, ses dieux poissons. À Mélite, elle bâtit une tour pour un serpent, au service duquel elle attache des ministres, des officiers, des prêtres, qui viennent chaque jour déposer sur sa table la farine et le miel dont il se nourrit. Elle porte le deuil des chiens, des chats, des ibis, des chacals, des béliers ; elle les embaume, place leur cercueil à côté du cercueil de ses rois, et, comme conséquence de cette glorification, elle leur immole des hommes, en déclarant passibles de la peine capitale ceux qui tuent les chats ou les oiseaux sacrés, justifiant par là le mot d’Aristote, que « l’homme est souvent moins que la bête, » et ce mot de Pascal : « Bassesse de l’homme jusqu’à se soumettre aux bêtes, jusqu’à les adourer ! »

Nous connaissons maintenant, par les traditions antiques, les premières sources de cette épopée des animaux dont les chroniqueurs du moyen âge furent les rapsodes, et dont nous voudrions réunir les monumens épars. La fantaisie domine ici l’observation, la légende domine la science ; la civilisation gréco-romaine, immobile dans ses rêves, commence par identifier l’homme et l’animal, et, poussant jusqu’à l’absurde les conséquences d’une première erreur, elle finit par élever l’animal au-dessus de l’homme, travestit tous les êtres réels, et peuple le monde de monstres et de fantômes, sans que jamais, dans le cours de tant de siècles, l’ordre admirable de la nature l’élève, par le spectacle magnifique de la création, à la pensée d’un ordonnateur suprême. Dans le moyen âge, où nous allons entrer, on va sans doute encore retrouver bien des fables ; mais du moins une grande idée, l’idée morale et religieuse, dominera toutes les folies de l’imagination. Les êtres réels seront défigurés comme dans l’antiquité, le monde se peuplera de monstres nouveaux, mais ces monstres eux-mêmes serviront à l’enseignement des hommes. Une vue générale de cette histoire apocryphe sera le prologue naturel du drame bizarre où la suite de ces études nous montrera les animaux figurant comme acteurs.