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les passions qui nous troublent, mais même tous les sentimens moraux qui nous élèvent, tous les sentimens affectueux qui nous consolent. Phèdre, Oreste et Pylade, les victimes des orages du cœur, les héros des grandes tendresses, ont pour émules des volatiles ou des quadrupèdes. Pline rapporte sérieusement qu’une oie ressentit pour un jeune homme, nommé Égius, une passion des plus violentes, et qu’en Égypte un bélier fut amoureux jusqu’à la folie de la belle Glaucé, musicienne d’un grand mérite, attachée en qualité d’artiste à la cour du roi Ptolémée[1]. Les chevaux, les dauphins, les aigles, donnèrent souvent des exemples d’un dévouement en amitié dont l’homme lui-même ne se montre que très rarement susceptible. Dans la ville de Sestos, on vit un aigle élevé et nourri par une jeune fille se jeter, quand elle fut morte, dans les flammes du bûcher qui devait la consumer et se laisser brûler avec elle. On vit également, sous le règne d’Auguste, un dauphin mourir du regret d’avoir perdu un jeune enfant auquel il s’était lié d’une amitié sincère. Cet enfant traversait tous les jours le lac Lucrin, pour aller de Baies à Pouzzoles suivre les leçons de son maître. Il avait accoutumé le dauphin à répondre, au nom de Simon, et à quelque heure qu’il l’appelât des bords du lac, celui-ci accourait aussitôt, cachait comme dans un fourreau les pointes aiguës dont son dos était armé, et, portant doucement son ami à travers les eaux, il le conduisait chaque matin à son école, et le ramenait le soir. Un jour, l’enfant ne parut point à l’heure accoutumée, le dauphin l’attendit avec inquiétude, et, toujours fidèle au rendez-vous, il revint le lendemain et les jours suivans ; mais le pauvre enfant était mort, et le fidèle animal ne tarda point à mourir lui-même.

De tels récits justifient, nous le pensons, ce que nous avons dit plus haut, — que les animaux, dans les idées antiques, sont complètement assimilés à l’homme. Quoique nous soyons à peine entré dans le sujet, le merveilleux y tient déjà une grande place. Tous les êtres réels se sont transfigurés, et cependant la fantaisie antique ne doit point s’arrêter là. Après nous avoir montré des cigales qui remportent des prix de musique, des serpens qui enseignent la langue universelle, des aigles qui se suicident, des bœufs qui parlent politique, elle invente des êtres nouveaux, et peuple la création de monstres, formés pour la plupart de parties discordantes empruntées aux espèces les plus dissemblables. L’antiquité, on peut le dire sans crainte d’exagération, a l’amour des monstres. Elle oublie presque toujours de décrire les types réels et vivans pour s’occuper de préférence de ceux qui n’existent pas. Les bois, les montagnes, la mer,

  1. Histoire Naturelle, liv. X, XXVI, 22.