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chacun comme un fait irrécusable. Enfin le polythéisme, consacrant toutes les rêveries, donne à son tour aux animaux l’esprit prophétique, le don des révélations mystérieuses, et, pour dernière folie, il va jusqu’à en faire des dieux. Il faut voir d’abord comment les croyances populaires, la poésie et la philosophie elle-même les ont pour ainsi dire humanisés.

D’après une tradition née du dogme de la métempsycose et naturalisée dans la Grèce par Pythagore et par Timée, les animaux ne sont que des hommes transformés qui gardent dans leur métamorphose le souvenir de leur premier état. Quelques philosophes leur donnent les trois âmes : l’âme raisonnable, l’âme sensitive et l’âme végétative, qui correspondent à ce que l’on a nommé plus tard la vie intellectuelle, la vie organique et la vie animale. Plutarque écrit un livre pour prouver qu’ils usent de raison. Les révélations mystérieuses de leur instinct étant souvent plus sûres que les opérations de notre intelligence, les poètes, aussi bien que les philosophes, les regardent comme nos premiers maîtres dans les arts et dans l’industrie. Nous avons appris de l’araignée à faire de la toile, de l’hirondelle à bâtir, du cygne et du rossignol à chanter. Instruite, comme ces oiseaux au gosier divin, des lois de l’harmonie, une cigale remporte le prix de la musique aux jeux pythiens. Les chevaux des Sybarites excellent dans les arts d’agrément. Leurs maîtres leur avaient appris la danse, et un jour qu’ils allaient dans une bataille charger les Crotoniates, ceux-ci, pour s’animer au combat, jouèrent de la flûte : au lieu de continuer leur charge, les chevaux danseurs, se dressant sur leurs pieds de derrière, désarçonnèrent tous les cavaliers sybarites et leur firent perdre la bataille[1].

Les faits de ce genre sont très nombreux dans les écrivains de l’antiquité, qui les rappellent de la meilleure foi du monde, sans chercher jamais à en constater l’authenticité. Ils ne devaient point d’ailleurs en être surpris, puisque des philosophes dont le nom était devenu le symbole même de la sagesse leur montraient des hommes dans les quadrupèdes, les oiseaux et les plus humbles insectes eux-mêmes. Du moment où la croyance universelle assimilait, par la raison et les opérations de l’intelligence, les bêtes aux hommes, on pouvait, sans inconséquence, leur en prêter le langage, car lorsque l’on pense, il est tout naturel que l’on parle, et il nous paraît très probable que les fabulistes, en faisant converser les animaux entre eux, se sont bornés à mettre en scène des traditions accréditées. Le renard d’Esope peut sans invraisemblance discuter avec la cigogne, le rat citadin d’Horace peut philosopher à son aise avec le rat des

  1. Mémoires de l’Académie des Inscriptions. t. V, p. 150.