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d’une attaque que la défection de quelques-uns de ses principaux officiers rendait plus redoutable. Il battit en retraite sur Outch, ville située près du confluent du Tchénab et du Satledje, dans une plaine fertile, et qu’il avait traversée en venant du Pandjâb. Il y arriva après une marche longue et pénible dont les fatigues furent partagées par la nouvelle impératrice, alors enceinte de sept mois, Houmâyoûn avait espéré trouver à Outch un bon accueil et des vivres ; mais, après une halte de quelques jours et sur de vagues espérances d’un accueil plus hospitalier dans les états du radja Maldèo (de Marwâr), il se décida à s’enfoncer dans le désert qui sépare le pays des Daoudpouttras du Marwâr.

Ici commencent les rudes épreuves de cette troupe de fugitifs groupés par la destinée autour d’une jeune femme de quinze ans qui devait bientôt donner le jour au grand Akbar. Un passage des mémoires de Djouher suffira pour donner une idée de ce qu’ils eurent à souffrir dans cette mer de sable brûlant, «… Le jour suivant, nous nous mîmes en route à midi et marchâmes vingt-sept heures sans trouver d’eau. Pendant cette marche désastreuse, beaucoup de nos gens moururent, et tous souffrirent horriblement. Il ne restait plus que quatre heures de jour, quand enfin, par la grâce de Dieu, nous arrivâmes à un petit bouquet d’arbres où nous trouvâmes un puits, un ruisseau d’eau courante et un petit étang. Là, le roi descendit de cheval et, se prosternant la face contre terre, rendit grâces au Tout-Puissant de cet inexprimable bienfait, puis il donna l’ordre de remplir immédiatement tous les machaks (outres à eau), de les charger sur des chevaux et de les envoyer à la rencontre des malheureux qui étaient restés en arrière[1]. » En approchant de la capitale de Maldèo, Houmâyoûn expédia un firmân par lequel il mandait le prince radjpout auprès de sa personne. Le radja n’en tint aucun compte, et se montra beaucoup moins disposé à secourir l’empereur dans sa détresse qu’à le livrer à ses ennemis. Houmâyoûn dut se résigner à traverser de nouveau le désert, et, comme dernière ressource, il résolut d’aller chercher un refuge à Amarcote, résidence d’un petit prince radjpout, située dans l’ouest de Djodpour, à trois ou quatre milles de la branche est de l’Indus[2]. La marche de la malheureuse

  1. Houmâyoûn alla lui-même au-devant des traînards, et rencontrant un marchand moghol, auquel il avait emprunté des sommes considérables, gisant sur la route et sur le point de périr de fatigue et de soif entra les bras de son fils, qui n’avait pas voulu l’abandonner, il eut l’odieuse et incroyable présence d’esprit d’exiger de ce malheureux quittance de sa dette en présence de témoins, avant de consentir à lui faire donner de l’eau pour se désaltérer.
  2. Amarcote, Amercote, Oumercote, etc. (Amarakota, « ville des immortels, ») immortalisée en effet par la noble conduite de râna Parsad, qui, seul parmi les vassaux de la couronne impériale, offrait l’hospitalité au souverain fugitif, et par la naissance d’Akbar. Amercote est aujourd’hui une place du peu d’importance, défendue par un petit fort en briques et qui a été en partie submergée lors du tremblement de terre et de la grande inondation de 1824. [Voyages de Burnes, vol. Ier, p. 314.)