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influences hostiles ; ce serait fournir à ces influences, déjà trop puissantes, des prétextes d’intervention dans les affaires de la communion orientale en Turquie ; ce serait exposer l’église de Constantinople à une destruction presque certaine au profit d’une église plus jeune et plus ambitieuse, à la fois instrument et mobile d’une politique envahissante. En se prêtant au contraire au mouvement qui porte les églises de Moldo-Valachie, de Serbie et de Bulgarie à se nationaliser de plus en plus, le patriarcat de Constantinople s’assurerait des alliés là où il ne trouve aujourd’hui que des sujets dedans ou ennemis. L’intérêt est ici commun ainsi que le péril. Il s’agit pour chacune des populations chrétiennes de la Turquie du maintien de l’individualité nationale, qu’elles ont conservée sous la domination ottomane, et qu’elles perdraient sans nul doute sous une invasion russe.

Lorsqu’on étudie l’église d’Orient soit dans son histoire, soit dans sa condition présente, on voit toujours apparaître le besoin de nationalité. Au moment de la grande scission qui sépara la ville de Constantin de celle des papes, c’était le génie décentralisateur de l’Orient qui luttait contre le génie de l’unité transmis par Rome païenne à Rome catholique. Aujourd’hui cette pensée de décentralisation s’est généralisée : il n’est dans l’Europe orientale aucun peuple, si petit soit-il, qui n’en réclame le bénéfice. Chacun prétend ne relever que de ses traditions, en se donnant pour frontières, en religion aussi bien qu’en politique, celles de son idiome, qui pour tous est le vrai dépositaire de la vie nationale, l’arche sainte où sont renfermées les tables de la loi.

Il est malheureusement vraisemblable qu’il n’y a rien à gagner pour le catholicisme à ce mouvement des esprits ; il est à craindre au contraire que le besoin d’associer plus étroitement que jamais les destinées de l’église à celles de la nation n’agisse sur la portion des Slaves et des Valaques restée catholique, en un sens favorable aux doctrines de l’église d’Orient. Les Latins de Bosnie, de Croatie et de Bohême pourraient se laisser un jour entraîner de ce côté, dans l’intention de se rapprochée des Serbes et des Bulgares, avec lesquels ils ont des liens de parenté et d’intérêt. L’existence d’une église uniate en pays slave aurait pu fournir un terrain propre aux transactions, et satisfaire peut-être aussi bien les Orientaux que les Latins, en les rapprochant ; mais il ne reste aujourd’hui chez les Slaves que d’impuissans débris de l’œuvre de Cyrille et de Méthode, et à défaut de ce terrain intermédiaire où les deux pensées extrêmes auraient pu se rencontrer, la communion orientale, on ne saurait se le dissimuler,