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beaucoup plus à gagner qu’à perdre en concourant à l’émancipation des diverses églises de Turquie, émancipation qui d’ailleurs, on l’a vu à l’occasion de celle de l’église du royaume hellénique, n’entraîne pas le rejet de toute suprématie ni une indépendance absolue, puisque le synode d’Athènes est obligé de prendre le saint chrême à Constantinople.

En somme, politiquement aussi bien que religieusement, les Grecs occupent vis-à-vis des autres chrétiens de l’empire ottoman une position analogue à celle qu’avaient les Magyars vis-à-vis des populations slaves et valaques de l’Autriche avant la révolution qui a brisé la puissance de la Hongrie. La comparaison est d’autant plus frappante, que, toute proportion gardée, il y a plus d’une ressemblance entre la constitution ethnographique de l’empire ottoman et celle de l’Autriche. Pour les Valaques et les Slaves de Turquie comme pour ceux d’Autriche, l’ennemi, ce n’est point le maître, ce n’est point la race gouvernante, l’Osmanli ou le Germain ; c’est la race intermédiaire qui prétend ou prétendait jusque dans la dépendance conserver une domination oppressive sur les peuplades soumises dans des temps plus heureux. Il y a aujourd’hui, particulièrement dans le royaume de Grèce, un très grand nombre d’esprits qui, ne se rendant point un compte exact des dispositions des Slaves et des Moldo-Valaques, sont persuadés que, dans le cas d’une dissolution de la Turquie, les Hellènes seraient appelés à reconstituer l’empire de Bysance et à succéder à la suprématie des Turcs sur les autres populations chrétiennes de ces contrées. Ces esprits ne sont pas même éloignés de croire que c’est un droit qu’ils tiennent d’une sorte de supériorité de civilisation et de sang. Ainsi s’exprimaient également les Hongrois avant la terrible révolution qui est venue donner une si rude leçon à leur orgueil. Cette pensée de suprématie serait pour les Grecs la plus dangereuse des illusions ; ils se briseraient comme les Hongrois contre l’idée de l’égalité des races entre elles, si chère aux imaginations parmi les Moldo-Valaques et les Slaves.

Du point de vue politique, c’est là une vérité frappante pour quiconque a observé de près le travail politique qui s’accomplit dans l’Europe orientale. Cette assertion n’est pas moins vraie dans le domaine des préoccupations religieuses et de l’administration ecclésiastique. Il viendra un moment où la suprématie religieuse du patriarcat de Constantinople pourrait n’être plus pour lui qu’un périlleux avantage, s’il ne tenait pas compte de l’esprit nouveau des peuples placés sous son autorité. Fermer les yeux sur cette nécessité, sous prétexte qu’elle ne serait pas urgente, ce serait ouvrir la voie aux