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slave à Carlovitz, parmi les Serbes de la Hongrie méridionale. Jusqu’alors l’archevêque de Carlovitz n’avait eu que le titre de métropolitain. Le désir de constituer plus fortement l’église nationale et d’avoir un point d’appui plus puissant pour lutter contre les Hongrois inspira la pensée de cette création. Le prélat qui occupe ce siège, le révérendissime Rajatchitch, rendait depuis des années d’éminens et populaires services au parti slave, envisagé par les Serbes de Turquie avec une très grande faveur. D’ailleurs l’archevêque Rajatchitch n’apparaissait point seulement en ces conjonctures comme un pasteur dévoué à son troupeau ; il y avait en lui du prélat d’un autre temps, et il lui en eût peu coûté de déposer un moment le bâton pastoral pour prendre I’épée. Ces allures étaient propres à frapper le clergé batailleur de la Serbie. Enfin avant le règne de Milosch Obrenovitch, avant qu’il y eût un archevêque à Belgrade, les évêchés de la Serbie s’étaient quelque temps trouvés suffragans de celui de Carlovitz, et l’un des métropolitains de cette ville, Étienne Stratomirovitch, contemporain de Tserny-George, a laissé parmi les Serbes des souvenirs encore aujourd’hui très vifs. Toutes ces circonstances réunies devaient fixer l’attention des Serbes de Turquie sur l’érection du patriarcat de Carlovitz. Le mouvement qui les porte de ce côté est toutefois combattu chez eux par diverses considérations. Ils redoutent l’influence germanique, qui, après avoir montré en 1848 et 1849 les dispositions les plus amicales pour les Slaves, dont elle avait besoin, peut ne pas leur être toujours également favorable. Ils se demandent si le patriarcat de Carlovitz, création après tout révolutionnaire, est destiné à une longue existence. Dans le cas où l’Autriche, qui l’a reconnu dans la personne de Rajatchitch, le maintiendrait après lui comme moyen d’action sur les Slaves de Turquie, ce siège sera-t-il toujours occupé par un prélat sincèrement dévoué aux intérêts de la race, animé de sentimens slaves ? Voilà des doutes qui se sont élevés à Belgrade sur une institution à laquelle on a cependant acclamé avec enthousiasme.

Le vœu des Serbes, il est facile de le comprendre, serait d’avoir un patriarcat national sur un sol à la fois slave et indépendant. C’est pourquoi, tout en applaudissant à la fondation de celui de Carlovitz, ils avaient dans les derniers temps mis en avant une autre conception. Ne voulant point aborder de front la question et demander la transformation de l’archevêché de Belgrade en patriarcat, ils avaient jeté les yeux sur le Monténégro. C’était avant la révolution qui en 1852 a opéré dans ce pays la séparation du temporel et du spirituel. Le chef militaire et civil des Monténégrins était en même temps revêtu du pouvoir épiscopal. Par la situation à la fois grande et indépendante qu’il occupait au milieu des tribus slaves de la Turquie, il