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dans ton pays natal et y sucer le sang de toute ta race. Là, à l’heure de minuit, tu viendras boire la vie de ta fille, de ta sœur, de ta femme, en maudissant l’exécrable aliment dont tu es condamné à sustenter ton cadavre vivant et livide. » La fatalité est, en effet, un des élémens du vampirisme tel que le conçoivent les Grecs. Avant de succomber à l’instinct irrésistible du sang, le vampire lutte sur cette terre contre sa destinée. Cet être diabolique est connu en Grèce sous le nom de vardoulaka. On ne lui fait pas une guerre moins acharnée que chez les Slaves du Danube. Le voyageur Tournefort a raconté dans ses lettres ingénieuses et sensées une scène de ce genre, à la fois dramatique et burlesque, dont il assure avoir été témoin, et qui mit durant plusieurs jours toute une population en émoi. Le cadavre du malheureux accusé de vampirisme fut exhumé, exorcisé de toutes les manières, puis son cœur fut brûlé ; mais comme les actes malfaisans que lui attribuait la crédulité populaire n’avaient point cessé, et que, sous l’impression d’une terreur croissante, la bourgade allait bientôt être déserte, les restes putréfiés du cadavre furent à leur tour livrés aux flammes.

En Grèce, la même superstition s’attache souvent aux excommuniés, — et l’on sait que l’excommunication étant une des sources du revenu des papas n’est point un fait rare. — Honnis durant leur vie, conspués partout où ils se présentent, s’ils ne cherchent pas à se purifier de l’anathème qui pèse sur eux, les excommuniés sont un objet d’épouvante, s’ils meurent dans l’impénitence. On n’admet point qu’ils puissent reposer paisiblement dans leur tombe. Ils la quittent pour errer à la faveur de la nuit, et, sans être poussés par la soif sanguinaire des vampires, ils se complaisent à tourmenter l’imagination de ceux qu’ils ont connus. Naguère on ne manquait jamais de les exhumer, de couper leurs membres en morceaux et de les faire bouillir dans du vin, — si toutefois la famille n’obtenait à prix d’or, des hautes autorités ecclésiastiques de Constantinople, que l’excommunication fût levée.

Les Hellènes comme les Valaques devaient conserver dans leurs croyances religieuses des vestiges de leur civilisation païenne. En dépit des invasions barbares et de la conquête ottomane, les merveilleux débris du paganisme couvrent encore les régions habitées par les Grecs, et rappellent sans cesse à leur mémoire les éclatans souvenirs de leur origine. Ces pays cependant ont été remués par le christianisme plus profondément que les principautés de la rive gauche du Danube. Les traditions païennes ont survécu comme l’aliment du patriotisme, comme le principal titre de gloire de la nation ; elles ne se sont point amalgamées aussi singulièrement qu’en Valachie