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temps comme les nôtres, où la vie sociale se compose de tant d’intérêts complexes luttant sans cesse entre eux, où l’incertitude semble une loi invincible, et où chaque peuple est condamné, sous peine de déchéance, à la recherche laborieuse de tous les moyens propres à améliorer la condition humaine. À travers tant de chances contraires, il s’opère bien encore après tout quelque progrès. On peut lire dans l’esquisse de M. Cochut sur Law l’épisode des déportés, ramassés un peu dans tous les coins de la France, pour aller peupler les solitudes du Mississipi, ou plutôt pour aller y mourir : c’était un procédé de justice un peu sommaire. Aujourd’hui la déportation est devenue tout un système pénitentiaire qui est en cours d’expérience. L’Angleterre, on le sait, est la première entrée dans cette voie par ses colonies de l’Australie. Chaque année, il part encore de ses rives des troupes de convicts pour Sidney. Que deviennent ces convicts ? quel est le résultat du régime auquel ils sont assujettis ? Leur vie nouvelle est-elle disposée pour favoriser chez eux une véritable régénération ? Ce sont à coup sûr des problèmes du plus sérieux intérêt. Peut-être le meilleur moyen de les étudier n’est-il pas de s’attacher à ce qu’ils ont d’abstrait. Il peut jaillir bien plus de lumières d’un tableau animé de ces colonies lointaines, car là on peut voir vivre et agir les condamnés frappés par la déportation. C’est là au fond l’intérêt d’un livre de M. P. Merruau sur les Convicts en Australie. Sous la forme d’un récit de voyage, l’auteur suit un convoi de déporter depuis le moment où ils quittent l’Angleterre jusque dans l’Australie ; il décrit leur vie à bord pendant le passage, leur organisation dans la colonie, leur existence nouvelle, en cherchant à éclairer, par des observations pratiques sur les mœurs des convicts, cette grande expérience de la déportation. Il en résulte une étude animée et variée, qui cache plus d’un détail instructif et sérieux sous une forme sans sévérité et sans prétention. Chacune de ces œuvres qui se succèdent, — nouvelle ou déjà ancienne, éclairant quelque curieux épisode de l’histoire ou racontant quelque expérience contemporaine, — n’a-t-elle pas sa place dans l’ensemble de la littérature actuelle ? Dans la diffusion même qui règne depuis longtemps, il n’est point sans intérêt de rechercher la direction des esprits, les goûts qui se décèlent, les tendances qui se forment. Ce n’est point d’ailleurs seulement dans un ordre de publications que peut s’exercer cette observation des symptômes littéraires ; c’est dans tout ce qui vient au jour, dans tout ce qui porte l’empreinte de l’inspiration ou du travail, principalement dans les œuvres d’imagination. Or que devient l’imagination contemporaine ? Quels sont ses fruits les plus actuels dans le roman, au théâtre ? Bornons-nous aujourd’hui au drame, à la comédie. Ce qu’il y a de remarquable, c’est un effort assez sensible pour atteindre à quelque nouveauté ; mais c’est au milieu des plus singulières incertitudes que cet effort lui-même se produit. L’absence d’une inspiration forte et nette n’est-elle point justement le caractère du drame que représentait récemment le Théâtre-Français, — Une Journée, d’Agrippa, d’Aubigné ? Certes il n’est point de personnage plus saisissant que cet homme étrange emprunté par l’auteur. M. Foussier, au XVIe siècle. À lui seul, d’Aubigné résume toutes les liassions et les originalités de son temps. Il est dans son genre de cette famille des Duplessis-Mornay, des Saulx-Tavannes, des Montluc. Entre le jour où enfant encore il quittait furtivement la maison