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Caron. C’est à sa femme, qui était alors aux eaux de Saint-Amand, que l’ex-secrétaire du roi transmet ses impressions sur le décret de la constituante par une lettre en date du 22 juin 1790, de laquelle j’extrais les passages suivans :


« Qu’allons-nous devenir, ma chère ? Voilà que nous perdons toutes nos dignités. Réduits à nos noms de famille, sans armoiries et sans livrées ! Juste ciel ! quel délabrement ! Je dînais avant-hier chez Mme de la Reynière, et nous l’appelions à son nez Mme Grimod, court et sans queue. Monseigneur l’évêque de Rhodez et monseigneur l’évêque d’Agen n’eurent de nous que du monsieur, chacun s’appelait par son nom, nous avions l’air de la sortie d’un bal de l’Opéra d’hiver où tout le monde est démasqué.

« J’écrivais ce matin à Mme la comtesse de Choiseul-Gouffier ; je lui disais : « Jusqu’au 14 de juillet, madame, je vous donnerai, par respect pour vos droits, de la comtesse, mais après, vous m’en saurez gré, s’il vous plaît, ce sera pure courtoisie »

« Je vous envoie en propre original l’invitation d’un club femelle que j’ai reçue pour vous hier. J’ai répondu que vous étiez aux eaux, mais vous unissant d’intention, qu’au moins je le présumais, et j’ai adressé ma réponse à Mme la secrétaire Il me semble que le 14 sera la plus belle chose que l’on ait jamais vue[1]. Mais Louis XIV, le 14, se verra dépouillé comme les autres grands. Plus d’esclaves à ses pieds dans la place des Victoires. Ah ! c’est une désolation. Pour laisser au bon Henri IV ses quatre statues enchaînées, nous prétendons que ce sont quatre vices : on nous le dispute, mais nous n’en démordons pas…

« J’ai démontré dimanche que je n’avais plus de possession qui eût le nom de Beaumarchais, et que le décret portait bien qu’on quittera les noms de terre, mais rien dessus les noms de guerre, et c’est sous celui-là que j’ai toujours vaincu mes lâches ennemis »


Tout à côté de cette lettre intime, où l’auteur semble parler, avec le sourire sur les lèvres, du 14 juillet et de tous les enthousiasmes du moment, j’en trouve une autre adressée au président de l’assemblée nationale, qui n’est rien moins que le plan d’un monument gigantesque que Beaumarchais propose de faire élever au Champ-de-Mars. « Au milieu de ce cirque immense, écrit-il, sur une estrade carrée de 210 pieds de face, j’élève une colonne triomphale de la hauteur de 148 pieds, à la base de laquelle on arrive par quarante marches de 120 pieds de longueur sur tous les côtés du carré, etc. » Tout le reste est dans ces proportions ; j’y remarque entre autres agrémens « quatre corps de garde qui, reliés entre eux par des galeries souterraines, peuvent servir, dans les fêtes, de réserve aux gardes nationales et contenir sept ou huit mille hommes. » Cet embellissement civique me paraît indiquer que l’esprit d’ordre et de conservation n’abandonne jamais Beaumarchais.

  1. Il s’agit du jour de la fédération.